On vous a déjà dit tout le bien que l’on pensait de la saga ébouriffante, délirante et jubilatoire « The Kong Crew » d’Éric Hérenguel… (1) Or, voilà que les éditions Caurette sortent une très belle intégrale de luxe de la trilogie (224 pages, dans sa version originale en noir et blanc grisé et en français) : une incroyable épopée hommage aux comics, aux pulps et aux vieux films fantastiques des fifties ! Ceci alors que le tome 3, cartonné et en couleurs, vient aussi à peine de paraître chez Ankama… La totale en noir et blanc ou les trois volumes en couleurs, vous avez donc le choix ! L’essentiel étant de ne pas passer à côté de ces aventures follement drôles, débridées et imaginatives, sous couvert de fable épique et écologique !
Lire la suite...« Rien ne fera venir le jour » par Yoshihiro Tatsumi
Second volume de l’anthologie d’un des plus anciens mangakas ayant été publiés légalement en France (1). Précurseur du Gekiga, cette branche du manga plus adulte qui traite de sujets de société graves de manière réaliste, il est aujourd’hui reconnu en France comme un auteur qui compte. Les éditions Cornélius continuent inlassablement de perpétuer sa mémoire en nous abreuvant de ses histoires courtes. Les sujets abordés sont forcément pessimistes. À l’image du titre de ce recueil qui n’ouvre guère la porte à de doux rêves : « Rien ne fera venir le jour ».
Quand il lança le mouvement Gekiga, Yoshihiro Tatsumi voulait simplement avoir le loisir d’aborder des thèmes qui lui étaient chers et ignorés par la production de mangas enfantins. Sortir du sempiternel combat du bien contre le mal et du dépassement de soi : leitmotiv omniprésent dans les illustrés, à même d’encourager la jeunesse d’un pays qui se relevait avec douleur d’une guerre qui, pour une fois, il n’avait pas été gagnée. Dans ces histoires courtes, Tatsumi parle de sujets graves comme la mort, le suicide, l’avortement, le chômage, l’alcool, la prostitution et bien d’autres traits immoraux qui font que l’être humain est un être imparfait. Ses chroniques sont comme un porte-voix de toutes ces personnes que la société moderne délaisse. De tous ces gens qui cherchent à s’en sortir sans forcément entrer dans le conformisme du moule social japonais. Tatsumi est à leur image, ses mangas sont clairement anticonformistes, mais ils font indéniablement réfléchir. Le trait est lourd, le pinceau glisse sur le papier et noircit le fond des cases alors que la plume du mangaka hachure certain visages pour marquer la souffrance de ses acteurs. En ce sens, Tatsumi est un artisan, il n’utilise pas de trames mécaniques comme la plupart de ses collègues. Les gris sont obtenus par des séries de traits alignés plus ou moins aérés et surtout irréguliers. Ce sont ces petits accidents qui font que le dessin du maître accompagne le sens donné aux récits.
Le propos de Tatsumi joue énormément sur la dualité des sentiments. Ainsi, dans le premier des treize récits que comporte ce recueil, le lecteur découvre un jeune homme dégoûté du sang qui coule dans ses veines. Il a en effet découvert que son propre père, médecin réputé, pratiquait l’avortement. Pourtant, ce sang va lui-même le sauver plus tard, mais ça, son père sait qu’il ne doit pas lui dire, de peur d’un rejet plus grand mettant sa vie en péril. Où se situe le bien, où se situe le mal, où se situe la morale ? La frontière est toujours ténue dans ces cas-là, comme dans la plupart des fables qui nous sont contées au fil des pages.
Tatsumi évoque ainsi la survie d’hommes et de femmes finalement prêts à tout pour faire corps avec ce monde qui les rejette. La reconstruction du pays, réalisée à grands coups de sacrifices, a laissé de coté une partie de la population qui n’a pas su être rentable en s’adaptant à cette vie effrénée. Mais il ne faut pas s’y tromper, Tatsumi ne parle pas ici de politique politicienne, il parle exclusivement de politique sociale. Il met un visage sur ses contemporains, il montre ce qu’il connaît. Les bas-fonds de la ville, la pauvreté de la campagne, la déchéance liée à l’alcool, la déprime, le mal-être, etc. Il n’hésite pas à aborder les sujets les plus crus, mais de manière réaliste. Ainsi, quand un enfant de dix ans tue son beau père, il n’élude pas le sujet, la cruauté n’a pas d’âge, elle a juste ses raisons que d’autres ne comprennent pas.
Second opus de l’anthologie de Tatsumi en français, « Rien ne fera venir le jour » mérite une place de choix dans toutes les bibliothèques au milieu des autres romans graphiques ou, comme on les appelle au Japon depuis plus de cinquante ans, au milieu des meilleurs gekigas.
Gwenaël JACQUET
« Rien ne fera venir le jour » par Yoshihiro Tatsumi
Éditions Cornélius (31,50 €) – ISBN : 978 2 36081 152 6
(1) : « Hiroshima » par Yoshihiro Tatsumi est un recueil d’histoires courtes sur le thème de la guerre qui a été publié en 1983 par les éditions Artefact. Passé totalement inaperçu à l’époque, c’est pourtant le premier album cartonné d’un auteur japonais à être publié en français (« Le Vent du Nord est comme le hennissement d’un cheval noir » par Shotaro Ishinomori publié en 1979 avait un format étrangement grand et une couverture souple). Dans l’introduction de ce second livre, les éditions Cornélius précisent bien que tous les récits présents dans l’album « Hiroshima » seront repris dans un futur numéro de cette anthologie consacrée à Yoshihiro Tatsumi. Ces histoires ayant déjà été publiées en France par Vertige Graphic en 2005 dans « Good-Bye » et par Cornélius en 2008 dans « L’Enfer », deux livres aujourd’hui épuisés.