Roba et Verron : à propos de Boule & Bill

Au vu des premières planches que nous avons pu lire, la reprise par Laurent Verron de Boule et Bill est une superbe réussite. Retour avec les deux hommes sur ce qu’ils jugent être « un passage de relais réussi »

 

 

A l’évidence, une complicité certaine existe entre Jean Roba et Laurent Verron. Le jeune Grenoblois est reconnaissant au créateur de Boule et Bill de lui avoir appris les secrets de la bande dessinée classique ? ce qu’il appelle des « trucs simples mais qui changent tout » ? il y a plus de dix ans. Mais surtout, il remercie Roba de la confiance quasi aveugle qui a régné tout au long de ce passage de témoin à haut risque.

 

De son côte, Roba est heureux d’avoir réussi son pari. Pour cela, il a mise sur la simplicité
des choses – pas de studio ou de « comité du respect de l’esprit de la série » ? et sur l’étoffe humaine ? un homme a la manÅ“uvre, comme du temps ou il gérait Boule et Bill de A a Z. Pour les deux hommes, il s’agissait plus d’une continuation que d’une reprise.

 

 

 

Quelle est LA difficulté dans le cadre d’une « reprise » de flambeau d’une série phare de la bande dessinée ?

 

 

 

Roba II m’est difficile d’en parler car je n’ai jamais repris un personnage. Même si, à la fin des années soixante, André Franquin avait songé à moi pour continuer Spirou et Fantasio. J’aurais sans doute pu le faire, mais c’était quand même un sacré héritage…

 

 

 

Verron  II y a plusieurs difficultés : sauvegarder l’esprit de la série et respecter le graphisme du créateur. Au début, durant la période de transition, il ne doit pas y avoir de différences. A la rigueur, même si les crédits sont clairement indiqués en couverture, le rêve serait que le lecteur ne s’aperçoive pas des modifications de l’auteur.

 

 

 

Roba En Europe, il y a peu de reprises réussies. L’Amérique connaît ce phénomène beaucoup plus que nous. En Europe, cela se passe en général quand il y avait déjà un studio du temps du créateur : Vandersteen, Peyo et, sans doute, Hergé, si le cours de l’histoire n’avait pas été changé. Tintin, graphiquement, aurait pu être continué par Bob de Moor et d’autres. Franquin, pour Gaston, aurait été plus difficile. Roba, cela devait l’être également mais, heureusement, j’ai la chance d’avoir rencontré Laurent Verron qui avait déjà travaillé 3 ans avec moi. Il était le seul capable de reprendre Boule et Bill. Et j’en suis tout à fait ravi.

 

 

 

Laisse-t-on facilement ses personnages s’éloigner?    

 

 

 

Roba J’ai toujours dit que je ne voulais pas que Boule et Bill soient enterrés avec moi. Je ne peux plus dessiner   de planches à cause d’un problème à la main. Pour l’illustration et la peinture, pas de souci. Je suis tout à fait content que Laurent ait repris cela. Car il faut oser ! Il ne faut pas être inconscient; au contraire, il faut être conscient de son talent. Je crois que Laurent l’est, même s’il fait le modeste. J’ai donné la vie à quelque chose et cette vie mérite de ne pas être interrompue. D’autres générations liront Verron et je serai content de le savoir. Au début, je me disais que j’allais avoir des boutons, mais     

 

je n’en ai finalement pas eu. Vous savez, c’est rare, une prise de relais réussie.     

 

 

 

Comment avez-vous appris que vous pouviez être l’heureux élu ?

 

 

 

Verron C’était à un cocktail d’ouverture de la Foire du Livre de Bruxelles. J’ai d’abord été surpris car, pour moi, Boule et Bill c’était Jean Roba et personne d’autre. Cela m’a demandé un temps de réflexion, car c’est un univers particulier dans lequel il faut entrer. Même si c’est une bande dessinée que je connais depuis mon enfance, que j’aimais déjà lire avant de travailler chez Jean. J’appréciais depuis toujours le dessin de toute cette école qui a admiré le travail de Walt Disney: Franquin, Morris..
Mais il fallait quand même soupeser les choses : étais-je capable de tenir le rythme, de faire des albums de gags, avec un décor qui revient souvent…

 

 

 

Roba II m’aurait dit « Non » que j’aurais également trouvé cela normal. Un studio, comme Dargaud
me l’a proposé à un moment, aurait été anonyme. Je lui ai dit : « Si tu acceptes, tu es maître du jeu et, quand on te propose des scénarios, refuse ce qui n’est pas bon. Sois difficile. » Je lui ai également dit, c’est la base de tout, qu’il fallait qu’il soit heureux, sinon cela ne marcherait pas.– « Si tu n’as pas de plaisir, refuse tout de suite. » Cela se sent dans le dessin quand un dessinateur est mal à l’aise.

 

 

 

Quel rôle a joué votre première relation de travail avec Jean Roba ?

 

 

 

Verron Je n’aurais pas tenté ce challenge si je n’avais pas travaillé 3 ans chez Roba. Si je compare mon dessin avant et après, il y a de sacrés progrès. Il y a des choses que je n’aurais jamais appris ailleurs que chez lui. Ce sont des petits trucs difficilement explicables. Je me rappelle la planche (Bill dans un cimetière en train de prendre des os) sur laquelle il travaillait lorsque je suis venu la première fois chez lui. Rien que de le regarder encrer, on apprend des choses. Quand je dessine Boule et Bill maintenant, j’essaye de retrouver les gestes de mise en place des personnages que j’ai vus a l’époque.

 

 

 

Roba II y a des règles à respecter en bande dessinée qui ne le sont plus toujours, et cela peut nuire a la lisibilité.Ce ne sont pas des secrets, juste des conseils de lisibilité, des petits « trucs » qui font que si personne ne vous en parle, on peut tourner en rond, alors que la solution est simple. J’ai appris énormément avec Franquin. Je suis tributaire du style de Franquin qui lui-même, comme toute ma génération, était tributaire de Walt Disney.

 

 

 

Verron Vous me donniez souvent des conseils en me disant «A l’époque, Franquin me disait… ». Il y a une continuité précieuse des conseils des grands maîtres qui se suivent. Moi, j’étais un débutant qui apprenait le métier chez Jean Roba. J’avais ses conseils, mais aussi, par son intermédiaire, les conseils de Franquin, de Morris, de Jijé, parce que Roba prenait aussi exemple chez ses collègues et amis de sa génération. Il a été un bon professeur.

 

 

 

Roba Je n’ai jamais été très pédagogue. On ne songe à rien quand on commence une série. Vous savez, c’était inconscient. Je ne me disais pas «Tiens, je lui transmets un truc ». C’est lui qui a ressenti cela. Je n’ai pas l’impression de l’avoir rendu heureux a ce moment-là en lui demandant de tout gommer pour recommencer.

 

 

 

Verron II est évident que, sur le moment, quand on vous dit «Ce n’est pas bon, il faut recommencer!», ce n’est pas très gai, mais j’étais friand de ce genre de conseils. On est prêt à tout engloutir, à passer la serpillière dans l’atelier (rires).

 

 

 

Comment s’est déroulée la réalisation de cet album?

 

 

 

Roba Comme prévu dès le départ, j’ai été très peu impliqué dans le nouvel album. Laurent est venu me montrer des crayonnés. Pour les scénarios ? la chose la plus importante dans le cas qui nous occupe ?, je dois avouer que ‘avais un peu peur. Ce n’est pas très évident d’entrer dans un univers comme celui de Boule et Bill.

 

 

 

Verron Les gags, livrés par différents scénaristes, arrivaient chez l’éditeur qui, après un premier tri, me les envoyait. J’avais le «final eut ». Les gags que je sentais, je les dessinais. Un des gags envoyés avait déjà été réalisé par Roba…

 

 

 

Roba J’ai toujours eu la trouille de refaire deux fois le même gag. Heureusement, j’avais un système d’alarme qui m’a toujours permis d’éviter ce type de couac.

 

 

 

Verron Je suis venu lui montrer régulièrement des planches pour avoir son avis et, en gros, il a été assez indulgent (rires).

 

 

 

Roba  Je ne voulais pas que Laurent ait au-dessus de lui une épée de Damoclès du type « Que va-t-il dire ? ». On ne le sent pas dans le travail qu’il a réalisé. Il faut faire preuve de confiance. C’est une question de pif. Certains pourraient se dire que Roba n’en a plus rien à faire? Au contraire ! D’abord, je connaissais Laurent. Il ne sortait pas soudainement d’une boîte ! Je voyais les progrès qu’il réalisait dans Odilon Verjus. Je sentais une patte, ce qui est très rare. Ce n’est pas le dessinateur qui apprend à reprendre simplement le trait, il me fallait plus que cela !    

 

 

 

Verron n’ose pas poser la question. Quel regard Roba porte-t-il sur son album?

 

 

 

Roba On sent une progression au fur et à mesure de l’album. Tu es de plus en plus à l’aise. On dirait que tu t’amuses de plus en plus en avançant, non ?

 

 

 

Verron J’étais plus à l’aise avec les personnages, surtout Bill qui est mon personnage favori.

 

 

 

Roba Forcément, il apporte le plus de plaisir dans le dessin.

 

Verron II a une bouille, c’est un peu Mickey. Il est universel. C’est le personnage que j’ai le plus de facilité à dessiner. Si le lecteur a du plaisir à le regarder, c’est parce que le dessinateur a eu du plaisir à le dessiner. En revanche, au début. Boule…

 

 

 

Roba … n’est pas si facile à dessiner, n’est-ce pas?

 

 

 

Verron II suffit qu’on bouge l’Å“il d’un demi-millimètre et il ne ressemble plus a Boule !

 

 

 

Roba J’ai appris cela de Franquin. Dans nombre de bandes dessinées, des personnages se parlent sans qu’on ait l’impression qu’ils se regardent. Les yeux ont été mal placés.

 

 

 

Verron II faut faire des brouillons, des croquis. Recommencer est un truc que Roba m’a appris. Ne pas hésiter à gommer, à recommencer.

 

 

 

In dossier de presse – « Roba par Verron – Boule et Bill » – Dargaud 2003.  Sortie du nouvel album, Boule et Bill 29, Quel Cirque ! le 11 octobre 2003 – 9,45

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