Un premier voyage dans les Terres australes et antarctiques françaises — retranscrit dans le très bel ouvrage « Voyages aux îles de la Désolation » — n’a pas rassasié le dessinateur Emmanuel Lepage (1) : 12 ans après, en 2022, il embarque à nouveau pour les îles Kerguelen. N’ayant pas pu, lors de sa première excursion, vivre au plus près le quotidien de tous ceux qui travaillent sur cet archipel au relief montagneux d’origine volcanique, situé au sud de l’océan Indien, il y reste cette fois-ci deux mois et demi : s’attachant donc plus aux personnes qui partent avec lui, tout en montrant les changements déjà à l’œuvre sur la nature, en raison du réchauffement climatique. Du beau, écologique et humaniste, voire quasiment poétique, récit de voyage en BD !
Lire la suite...« Pittsburgh » par Frank Santoro
							Troisième roman graphique de ce jeune auteur américain hyper doué, publié exclusivement en France par les éditions Ça et là, « Pittsburgh » est une œuvre autobiographique étonnante réalisée sous une forme visuelle en feu d’artifice.
Pittsburgh est la ville d’enfance de l’auteur et celui-ci y revient, suite au divorce de ses parents, il y a vingt ans. Eux qui avaient bravé les interdits de 1968 pour se fiancer, travaillent aujourd’hui dans la même entreprise : l’hôpital communal, et ne se regardent même pas lorsqu’ils se croisent. Deux étrangers que Frank aimerait pouvoir « retrouver », comme lorsqu’il était enfant et que son parrain : Denny, et ses grand parents paternels lui donnaient du bonheur. Car l’ambiance du côté de sa mère était trop rigoriste.
Vietnam, Motown, petits lotissements de maisons tranquilles, péniches qui passent et chien qui aboie…, l’ambiance est posée dans l’œuvre de l’auteur. Pour les lecteurs suivant le travail éditorial défricheur impeccable des éditions Çà et là, Frank Santoro a d’ailleurs déjà un statut à part : celui d’un auteur sachant mêler scénarios féconds (grande dépression pour « Storeyville » ou tranche de vie antique émouvante avec « Pompéï ») et grande richesse stylistique. Il nous surprend encore un peu plus cette fois-ci avec un déluge de couleurs, souvent flashy, réparties dans un album composé d’image collées, au scotch apparent. Le dessin, ébauché au crayon de couleur, voire même juste esquissé souvent, en surcouches, est rehaussé au feutre couleur la plupart du temps, lorsque celui-ci n’est pas utilisé en biseau pour planter des décors approximatifs très stylisés, ou remplir les pages d’ambiances limites psychédéliques.
Les personnages de Frank Santoro sont d’ailleurs parfois de simples silhouettes, mais son dessin très artistique, façon art brut, n’enlève jamais le profond sens qu’il place dans leurs relations et leurs dialogues. On notera au passage quelques détails et astuces bien venues, empruntées à la magie du 7e art, rappelant combien le 9e peut-être aussi inventif, comme lorsque de simples scènes graphiques descriptives sont annotées de mots permettant « d’entendre » des sons dans le décor…
Les récits de l’auteur sont donc bien destinés aux adultes, car leurs propos sont emprunts d’une riche analyse sociale et psychologique. Dans ce sens, mais aussi pour l’aspect graphique exploratif, on pourra rapprocher Frank Santoro d’artistes aussi divers qu’Alex Barbier (« Lettres au maire de V »), Matt Kindt (« Du sang sur les mains »), mais aussi Emmanuel Guibert (« La Guerre d’Alan »), Jean Teulé (« Les Gens »), Jeff Lemire (« AD After Death ») …
Il serait malvenu de survoler simplement ce très bel album cartonné, car nombreux sont les moments de pure poésie, décrits avec force et un talent imperceptible au premier abord. C’est un véritable tour de force à bien des égards, qui place définitivement Frank Santoro dans la cour des grands auteurs contemporains de bande dessinée, d’ailleurs déjà adoubé par Chris Ware lui-même. (1) Aussi, vous feriez bien de prendre le train de « Pittsburgh » en marche ! (*)
Franck GUIGUE
(1) « La première fois que j’ai lu « Storeyville » a été l’un des moments clés de ma vie d’auteur de bandes dessinées. Je considère ce livre comme l’une des étapes importantes du développement de ce médium.» : citation de Chris Ware dans la préface de « Storeyville ».
(*) Petit clin d’oeil aux hobos de « Storeyville ».
« Pittsburgh » par Frank Santoro
Éditions Çà et là (28 €) – ISBN : 978-2-36990-252-2













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