« Pittsburgh » par Frank Santoro

Troisième roman graphique de ce jeune auteur américain hyper doué, publié exclusivement en France par les éditions Ça et là, « Pittsburgh » est une œuvre autobiographique étonnante réalisée sous une forme visuelle en feu d’artifice.

Pittsburgh est la ville d’enfance de l’auteur et celui-ci y revient, suite au divorce de ses parents, il y a vingt ans. Eux qui avaient bravé les interdits de 1968 pour se fiancer, travaillent aujourd’hui dans la même entreprise : l’hôpital communal, et ne se regardent même pas lorsqu’ils se croisent. Deux étrangers que Frank aimerait pouvoir « retrouver », comme lorsqu’il était enfant et que son parrain : Denny, et ses grand parents paternels lui donnaient du bonheur. Car l’ambiance du côté de sa mère était trop rigoriste.

Montage de deux pages séparées ©Caetla / Frank Santoro

Vietnam, Motown, petits lotissements de maisons tranquilles, péniches qui passent et chien qui aboie…, l’ambiance est posée dans l’œuvre de l’auteur. Pour les lecteurs suivant le travail éditorial défricheur impeccable des éditions Çà et là, Frank Santoro a d’ailleurs déjà un statut à part : celui d’un auteur sachant mêler scénarios féconds (grande dépression pour « Storeyville » ou tranche de vie antique émouvante avec « Pompéï ») et grande richesse stylistique. Il nous surprend encore un peu plus cette fois-ci avec un déluge de couleurs, souvent flashy, réparties dans un album composé d’image collées, au scotch apparent. Le dessin, ébauché au crayon de couleur, voire même juste esquissé souvent, en surcouches, est rehaussé au feutre couleur la plupart du temps, lorsque celui-ci n’est pas utilisé en biseau pour planter des décors approximatifs très stylisés, ou remplir les pages d’ambiances limites psychédéliques.

Les personnages de Frank Santoro sont d’ailleurs parfois de simples silhouettes, mais son dessin très artistique, façon art brut, n’enlève jamais le profond sens qu’il place dans leurs relations et leurs dialogues. On notera au passage quelques détails et astuces bien venues, empruntées à la magie du 7e art, rappelant combien le 9e peut-être aussi inventif, comme lorsque de simples scènes graphiques descriptives sont annotées de mots permettant « d’entendre » des sons dans le décor…

Les récits de l’auteur sont donc bien destinés aux adultes, car leurs propos sont emprunts d’une riche analyse sociale et psychologique. Dans ce sens, mais aussi pour l’aspect graphique exploratif, on pourra rapprocher Frank Santoro d’artistes aussi divers qu’Alex Barbier (« Lettres au maire de V »), Matt Kindt (« Du sang sur les mains »), mais aussi Emmanuel Guibert (« La Guerre d’Alan »), Jean Teulé (« Les Gens »), Jeff Lemire (« AD After Death ») …

Il serait malvenu de survoler simplement ce très bel album cartonné, car nombreux sont les moments de pure poésie, décrits avec force et un talent imperceptible au premier abord. C’est un véritable tour de force à bien des égards, qui place définitivement Frank Santoro dans la cour des grands auteurs contemporains de bande dessinée, d’ailleurs déjà adoubé par Chris Ware lui-même. (1) Aussi, vous feriez bien de prendre le train de « Pittsburgh » en marche ! (*)

Franck GUIGUE

(1)  « La première fois que j’ai lu « Storeyville » a été l’un des moments clés de ma vie d’auteur de bandes dessinées. Je considère ce livre comme l’une des étapes importantes du développement de ce médium.» : citation de Chris Ware dans la préface de « Storeyville ».

(*) Petit clin d’oeil aux hobos de « Storeyville ».

 

« Pittsburgh » par Frank Santoro
Éditions Çà et là (28 €) – ISBN : 978-2-36990-252-2

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