« Essence » par Benjamin Flao et Fred Bernard

Dès la couverture, « Essence » nous accroche. Que fait ce type en tenue de vacancier, bidon à la main, dans une station-service à l’évidence désaffectée, regardant on ne sait trop quoi, tandis qu’à l’arrière, dans l’ombre, se tient une femme énigmatique ? Une histoire de panne d’essence ? Ce serait trop simple ! Et c’est évidemment bien plus que ça, dans cet album dont on peut déjà dire que ce sera l’un des meilleurs de 2018…

On s’aventure dans cette histoire par des bâtiments glauques, délabrés, dans les pas d’un individu qui se demande lui aussi où il est, par où il est venu et comment il va s’en sortir. Mais il ne s’en sortira pas, on le comprend vite, car Monsieur est mort – on ne dévoile rien, c’est écrit en quatrième de couverture ! On y apprend même qu’il va rencontrer un ange gardien débutant, en CDD, ou plutôt une ange (une angèle ?) fort jolie, qui sait tout de lui évidemment, mais qui s’en tient à sa mission : faire comprendre à ce pilote automobile pourquoi il est là et ce lui est arrivé. Elle ne pas lui dire mais lui faire découvrir la vérité. Lors d’un road-movie infernal (mais « paradisiaque » !), toujours en voiture ou presque (et pas n’importe quel modèle !), il va devoir retrouver la mémoire…

Dès lors, les dialogues sont attachants, mystérieux, saugrenus et irrésistibles, entre un Achille Antioche désabusé et qui ne saisit pas assez vite la complexité de la situation dans laquelle il se trouve. Il est d’abord « essentiellement » confronté à d’incessants problèmes d’essence pour alimenter ses voitures successives. Successives parce qu’il lui suffit de penser pour changer de véhicule, de paysage, de contexte. Pour un dessinateur, c’est une aubaine : d’une case à l’autre, le sujet à traiter change ! Mieux, le graphisme peut changer. Benjamin Flao s’en donne à cœur joie : couleurs picturales et épaisses ici, dessin caricatural et léger ailleurs, avec contours, sans contours, hachuré façon Giraud ou référencé coté Hergé (un petit sous-marin bien connu ou une frontière syldave). C’est total bonheur pour le lecteur ! On est évidemment très loin de son reportage, pourtant très intéressant, « Va’a, une saison aux Tuamotu » réalisé avec Troubs, ou du passionnant « Kililana Song » (voir les chroniques ici-même).

Pourtant, au bout d’un moment (l’album compte 184 pages), on se demande si tout ça ne va pas finir en eau de boudin. Comment le scénariste va-t-il se sortir de cette situation basée sur deux caractères que tout oppose et une situation aussi fantastique et cauchemardesque que problématique et déjantée. Mais l’on n’est pas déçu ! Fred Bernard a ménagé pour sa fin (et pour notre faim !) une double pirouette astucieuse et jubilatoire. Là encore, total bonheur pour le lecteur !

À noter en fin de récit une incroyable course poursuite, muette et dynamique - du grand art ! – ce qui ranime les paroles du pilote canadien Jacques Villeneuve, présent dans ce « Pilote Paradise » (sous-titre indiqué en page de garde) et qui disait quelques dizaines de pages plus tôt : « Sois pas couillon, tu vas pas passer tes journées à t’achaler le cul dans un char » ! Non, c’est sûr, tu vas lire ce bouquin, en quatrième vitesse !

Didier QUELLA-GUYOT  ([L@BD-> http://9990045v.esidoc.fr/] et sur Facebook).

http://bdzoom.com/author/didierqg/

« Essence » par Benjamin Flao et Fred Bernard

Éditions Futuropolis  (27 €) – ISBN : 978-2-7548-1179-8

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