« Hercule Poirot T1 : Le Crime de l’Orient-Express» par Chaiko et Benjamin Von Eckartsberg

Dans la littérature policière, le sens de l’intrigue d’Agatha Christie est devenu un mythe. En livrant une nouvelle adaptation de son célèbre « Crime de l’Orient-Express » (paru en 1934), le scénariste Benjamin Von Eckartsberg (« La Chronique des immortels », « Gung Ho ») tisse à son tour une toile virtuose : dans l’Orient-Express en direction de Londres, où Hercule Poirot a pris place, un riche Américain dénommé Ratchett est tué de douze coups de couteau dans la nuit. Alors que le train est immobilisé par la neige au milieu de nulle part, une seule vérité se fait jour pour Poirot : le criminel est encore à bord, quelque part parmi les passagers !

Où Poirot prend le train du crime... (planches 4 et 5 - Paquet 2017)

Couverture de la 1ère édition anglaise (Collins Crime Club, 1934)

De 1920 à 1976, le fictif détective belge Hercule Poirot vivra l’essentiel de ses aventures en Angleterre, de « La Mystérieuse Affaire de Styles » jusqu’à « Hercule Poirot quitte la scène »… roman dans lequel il meurt ! Or, bien qu’écrit par Agatha Christie dès 1940, ce titre ne sera publié qu’en 1975, alors que le monde entier redécouvre le personnage grâce au succès mondial du film de Sidney Lumet, « Le Crime de l’Orient-Express », dans lequel le héros est interprété par Albert Finney. Parce que le train est bloqué dans les congères quelque part en Yougoslavie, l’intrigue de ce polar (le neuvième écrit par la romancière) revêt un cadre inhabituel pour Poirot. Outre le parallèle avec d’autres titres mettant en scène des énigmes en chambre close (« Double Assassinat dans la rue Morgue » par Edgar Poe en 1841, « Le Mystère de la chambre jaune » par Gaston Leroux en 1907), indiquons que l’intrigue générale s’inspire de deux événements réels : l’affaire du kidnapping de l’enfant de Charles Lindbergh (1er mars 1932) et l’incident survenu en février 1929 au Simplon-Orient-Express, lequel se retrouva bloqué par un blizzard pendant six jours en Turquie.

Affiche française pour le film de Sidney Lumet (1974)

Préaffiches et affiche française finale pour le film de Kenneth Branagh (2017)

Une précédente adaptation par François Rivière (visuel éd. Claude Lefrancq - 1995)

Hasard ou pari éditorial, la parution du présent album coïncide avec la sortie au cinéma d’une nouvelle adaptation flamboyante du « Crime de l’Orient-Express » signée par Kenneth Branagh, qui interprète aussi Poirot. Avec 160 millions de dollars de recettes déjà gagnés à ce jour uniquement sur le territoire américain, le film (qui en a coûté 52) est déjà un succès qui a permis a son réalisateur d’annoncer des suites, à commencer par un nouveau portage à l’écran de « Mort sur le Nil », autre chef-d’œuvre de Christie datant de 1937 (film de John Guillermin en 1978). Comme les bédéphiles le savent, deux collections dédiées à la grande romancière britannique préexistaient chez les éditeurs Claude Lefrancq (5 titres de 1995 à 1997, à commencer par… « Le Crime de l’Orient-Express », adapté par François Rivière et Jean-François Miniac) et Emmanuel Proust (24 titres publiés entre 2002 et 2013). Suite à la disparition des collections précédentes, les éditions Paquet lancent à leur tour une gamme dédiée, sobrement nommée « Agatha Christie » et constituée autour de trois titres inédits : outre celui qui nous occupe, citons ces autres héros et enquêtes de Christie que sont « Les Beresford T1 : Mister Brown » (par Emilio Van der Zuiden) et « Miss Marple T1 : Un cadavre dans la bibliothèque » (par Dominique Ziegler et Olivier Dauger).

Les premiers titres de la collection Agatha Christie présentée par Paquet

Dilemme permanent des auteurs et notamment du dessinateur asiatique Chaiko (à l’œuvre sur « La Chronique des Immortels » entre 2014 et 2016) : que montrer en couverture sans rien dévoiler de l’intrigue, et ce d’autant plus quand il s’agit d’une thématique policière ? Montrer (ou non) Poirot, l’ambiance enneigée, le train-scène du crime, si ce n’est un panel de suspects potentiels, voila qui semblera pointer des évidences. Mais ces images iconiques seront parfois contournées dans l’intérêt d’autres profits visuels : un renforcement de l’aura mystérieuse du polar, ou le surgissement semi-fantastique de l’Orient-Express, entendu comme une nouvelle « Bête humaine » prédatrice et nocturne, apte à faire disparaître ses passagers dans la noirceur de leur crime. Privilégiant donc l’atmosphère aux personnages – fut-il central ou surprenant comme l’est Poirot (moustache en croc, tête en œuf et silhouette dandy) -, le visuel du « Crime de l’Orient-Express » renvoie à l’essence même du récit policier ; quel que soit le brouillard ou l’opacité de l’énigme, la lumière se fera au cours d’une itinérance, d’un périple dans les tréfonds de l’âme humaine. Dans tous les cas, le voyage ne sera pas de tout repos, crime et remue-méninges obligent : les lecteurs avanceront ici de case en case dans ce huis-clos perpétré entre cabines et couloirs, comme autant de bonds dans cette Europe d’antan alors en pleine mutation. Train mythique, époque révolue et voyage littéraire dans le crime ; ne nous étonnons pas que la bande dessinée comme le cinéma fassent de nouveau halte en 2017 dans ce troublant cas de conscience qu’est – et demeure – l’étude des comportements humains.

Visuel promotionnel (Paquet 2017)

Achevons cet article avec les réponses des auteurs à nos questions : en quoi le roman d’Agatha Christie est-il un grand classique du genre ? Comment le traduire en images en 2017 ?

Benjamin Von Eckartsberg : « Je ne me considère pas comme un expert du roman policier. Mais je pense que c’est la combinaison de l’emplacement (le célèbre et luxueux Orient-Express), du cadre (isolé dans le blizzard) et, le plus important, de la solution inhabituelle et intelligente du crime, qui en a fait un des summums du genre. Il y a aussi une ambiguïté morale à ce sujet, qui laisse au final le lecteur se questionner sur ses propres principes moraux. »

Quid de la conception de la couverture et du choix du visuel final (qui ne montre donc aucun des protagonistes… pas même Hercule Poirot !) ?

Chaiko : « Chaque adaptation a son propre point de vue, et nous revisitons un classique. Il n’y a rien de mieux que de montrer le magnifique Orient-Express tandis que l’affaire survient. Cela signifie une journée digne d’un puzzle, où ce monde mystérieux vous interroge sur ce qui peut bien « se tramer dessous »… »

Philippe TOMBLAINE

« Hercule Poirot T1 : Le Crime de l’Orient-Express» par Chaiko et Benjamin Von Eckartsberg
Éditions Paquet (16,00 €) – ISBN : 978-2-88890-876-0

Galerie

2 réponses à « Hercule Poirot T1 : Le Crime de l’Orient-Express» par Chaiko et Benjamin Von Eckartsberg

  1. PATYDOC dit :

    Pour tous les amoureux de la ligne claire (assistée par ordi), le Miss Marple est très réussi. Sauf erreur de ma part, c’est le premier album de Miss Marple en bd française ?

  2. joel dit :

    bel article qui donne envie de se lancer dans cette collection! il aurait fallut une petite info sur les prochains albums a paraitre en 2018, ils seront dessiné par qui?

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