Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Hip Hop Family Tree T3 : 1983-1984 » par Ed Piskor
Rien de tel qu’un bon mix Hip-Hop Funk pour les fêtes. Ça tombe bien : les éditions Papa Guédé, éditant depuis un an en France la série détonante « Hip Hop Family Tree » (l’arbre généalogique du Hip Hop) brillamment réalisée par l’auteur complet Ed Piskor, viennent d’en publier le troisième volet. Un coffret regroupant les deux précédents est aussi disponible à cette occasion. Envoutant !
Quelle délicieuse sensation que de tenir ces très grands formats souples dans les mains, et de découvrir, par le truchement de la vue et du toucher, ces pages en papier épais. En effet, tout est d’abord question de feeling dans « Hip Hop Family Tree ». Trame systématique façon vieux comics (on verra que ce n’est pas vrai partout), couleurs vieillottes, et ambiances. Celles de la fin des années soixante-dix bien sûr, celles, aussi, de New York et du Bronx, où la culture hip hop a fait ses premiers pas.
Ed Piskor, né en 1982 en Pennsylvanie, s’est fait connaître grâce à sa participation au tome 3 de l’anthologie « American Splendor » de Harvey Pekar, dont l’éditeur Ça et là a publié les trois volumes (2009-2011). C’est suite à cette rencontre qu’Harvey Pekar le sollicite pour son album reportage « Macedonia » (non traduit en France à ce jour). Emmanuel Proust édite, quant à lui, en 2011, son « The Beats », histoire de la Beat Generation, puis en 2013 son « Wizzywig », superbe histoire sur les hackers , chroniquée en son temps sur un autre blog. La même année, inspiré par le travail à la fois documentaire et biographique de Harvey Pekar, Ed Piskor, en vrai fan du genre, commence la réalisation de strips racontant l’histoire du hip hop, sur le site « Boing Boing ». Succès immédiat, que l’éditeur Fantagraphics transforme en les publiant sous forme d’album.
Le tome 1 de la série nous avait présenté les débuts du mouvement, parti du djiing, en 1979, avec Dj Kool Herc, inventeur du Merry Go Round, dont le principe consiste à intégrer des breaks instrumentaux à un autre morceau, afin de rallonger la durée de jeu en soirée, mais aussi avec son ami Coke la Rock, qui l’aidera au micro, puis dans la foulée, avec les autres futures figures : Grand Master Flash, Grand Wizard Theodore, inventeur du scratch, Africa Bambaataa, et d’autres. Le tome 2 abordait les années 80, la corrélation entre les quatre arts : rap, djiing, breakdance et graph, mais aussi le beat boxing et l’importance des boîtes à rythmes. Il évoquait au passage les tubes « Planet Rock », « The Message », « Sucker Mc’s » ou « Rock It » et entre autres, les labels Profile Records et Sugarhill, tout comme la venue des nouvelles stars : DJ Yella, Dr Dre, Run DMC… Il mettait aussi l’accent sur la réalisation et la sortie du film « Wild Style » de Charlie Ahearn, et l’émancipation/fusion du hip hop dans la culture blanche avec les artistes Beastie Boys ou, dans un autre genre : Les New Kids on the Block.
Ce tome 3 débute là où s’était arrêté le précédent, évoquant la mue définitive des Beastie Boys, d’abord groupe hard core, en premier groupe de rap blanc et la montée en puissance de Run DMC. Ed Piskor nous embarque dans la naissance d’autres labels de rap, avec Jive records, à l’origine de ce qui est considéré comme le premier vrai album rap avec « The Haunted House of Rock » du groupe Whodini, mais aussi Vintertainment, Tuff city records ou Def Jam, fondé par Russel Simmons et Rick Rubin, producteur de Run DMC, les Beastie Boys, ou LL Cool J, entre autres.
Il aborde l’émission radio « TV New York », le film « Breakin’ n Entering », l’événement live « Tin Apple Rap and Dance Contest », le programme télévision « Graffiti rock », la première tournée rap nationale surnommée « Fresh Fest », le documentaire sur les graffitis « Style Wars », ou encore le premier livre consacré à cet art : « Subway Art » de Martha Cooper et Henry Chalfant, publié en 1984 en Angleterre chez Thames & Hudson. Que du bonheur, et une mine d’or d’informations.
Si « Hip Hop Family Tree » reste un exercice s’adressant à un public spécialisé, risquant de laisser, parfois, le lecteur lambda exsangue dans sa lecture, car les albums ne délivrent pas vraiment d’histoire « continue » dans le sens attendu d’un album classique de bande dessinée, il est a appréhender, bien sûr, davantage comme un documentaire dessiné, très précis, fun et bourré d’anecdotes sur la scène hip hop américaine. D’ailleurs, le premier volume a été reconnu et plébiscité, en obtenant le prix Eisner Award 2015 de la « Meilleure série inspirée de la réalité », et la qualité du dessin de Ed Piskor, fan absolu qui a vécu ces années de l’intérieur, n’a d’égal que sa faculté à présenter au mieux tous les acteurs de cette scène « familiale ».
On est en effet étonné des ramifications nombreuses qui ponctuent cette histoire, et les rapports que chaque protagoniste entretient avec l’autre. Il est rare, voire inédit, d’aborder un genre musical de cette manière sous forme de bande dessinée, et de comics en l’occurrence. Le rapport entre différentes cultures musicales (punk, hard core, rock, funk, hip hop…) est touffu, citant copieusement de nombreux textes de morceaux, et se mêle avec celle des comics (on trouve d’ailleurs de belles galeries d’illustrations en fin de volume), tout en citant de manière très futée le médium dans sa propre histoire. À ce propos, il est à noter l’utilisation de petits « trucs » graphiques bien sentis, permettant à l’auteur d’insérer des flashback ou flash forward, via des cases non tramées aux couleurs plus flashy. Tout cela fait de la série un incontournable du genre.
On pense bien évidemment au « Chant de la machine », album ayant abordé dans le même esprit la scène techno (David Blot et  Mathias Cousin, Delcourt, 2000) et aux comics mainstream (Jack Kirby et ses exagération graphiques vient à l’esprit, mais d’autres sont aussi cités en filigrane, comme Rob Liefeld, page 12 du tome 3, idole des années quatre-vingt de l’auteur). Celà dit, on retient surtout l’esprit du comics underground des années 1970, pour le ton et le traitement graphique. Ed Piskor se révèle être un auteur vraiment exceptionnel dans ce créneau, et on est impatient de voir ce que sa nouvelle série sur les X-Men va donner (2)
Pour aller encore plus loin dans l’immersion souhaitée, les éditions Papa Guédé mettent à disposition une chaîne YouTube, permettant d’écouter tous les morceaux évoqués, au sein de trois playlists concoctées aux petits oignons (1). De quoi se sentir vraiment en phase avec les groupes et artistes évoqués en dessin, plus vrais que nature. Une expérience vraiment intégrale : « Are You Ready to Testify !? »
Franck GUIGUE
(1) Ecouter la playlist « Hip Hop Family Tree » de Papa Guédé sur Youtube
(2) (« X-Men Grand Design », chez Marvel, dont le n° 1 est prévu pour le 20 décembre en version originale.) Puis en fin de mois, les éditions Fantagraphics publieront le nouveau projet personnel de l’auteur : « Mudfish: An Honest Work of Fiction », Å“uvre biographique sur son rapport aux comics.
« Hip Hop Family Tree T3 : 1983-1984 » par Ed Piskor
Éditions Papa Guédé (26 €) – ISBN : 979-10-90618-03-9
Un coffret regroupant les deux premiers volume a aussi été édité ce mois de novembre (il contient un poster) et, pour l’achat d’un des volumes en librairie, la gazette : « Hip Hop Family Tree Gazette » vous est offerte. Une sorte de journal de 4 pages grand format promotionnel, dans le style « comme si vous étiez » en 1984. Bien fun.
« Hip Hop Family Tree coffret T1 & 2 : 1975-1983 » par Ed Piskor
Éditions Papa Guédé (54 €) – ISBN : 979-10-90618-04-6
Ça fait trop envie, le papier, graphisme, contenu, et surtout le sujet. Ça tombe a point nommé comme on dit dans l’ghetto. Finks Å“il de lynx
Merci « Richard ». Je vois qu’on aime les jeux de mots dans le ghetto Oui, ce projet et son rendu papier sont vraiment au top. De la belle ouvrage comme on dit. Nul doute que Papa Guédé va connaître un beau succès avec cette collection. En tous cas je l’espère. Cordialement,