Patrick Jusseaume : disparition d’un maître réaliste !

Je me souviens avec émotion de ce jour de 1984, où l’ami Daniel Bardet (le scénariste des « Chemins de Malefosse ») est entré dans mon bureau des éditions Glénat, accompagné par un dessinateur totalement inconnu. Patrick Jusseaume, puisqu’il s’agissait de lui, nous a quittés hier, mercredi 25 octobre 2017, en fin de matinée, après un long combat contre la maladie.

Patrick Jusseaume est né le 28 octobre 1951 à Abidjan, en Côte-d’Ivoire. Élève de l’École des Beaux-Arts de Rouen, il démarre une carrière de professeur de dessin, jusqu’à ce que le virus de la bande dessinée vienne le titiller.

Quelques illustrations, une participation modeste aux éditions I.D. Program où il rencontre Daniel Bardet, et le voici lancé sur le projet des « Chroniques de la Maison Le Quéant ». Grand admirateur d’André Juillard, qui anime « Les 7 vies de l’Épervier » dans les pages de Vécu, c’est tout naturellement qu’il y propose son projet.

Le dessin est encore hésitant, on sent le dessinateur qui se cherche, mais l’envie de se dépasser est là et me pousse à lui ouvrir les pages de Vécu.Commencer une carrière d’auteur de BD à 35 ans est un rude pari, alors qu’à l’époque les jeunes pousses ont les dents longues. Ceux qui ont suivi « Les Chroniques de la Maison Le Quéant » savent de quelle belle manière il l’a gagné.

Extrait du tome 2 des « Chroniques de la Maison Le Quéant » : « Les Quarante-huitards».

Au fil des planches, le dessin de Patrick Jusseaume gagne en originalité, se transforme, pour devenir une signature, la sienne. L’homme est un perfectionniste, un passionné de la documentation, un homme cultivé, véritable artisan d’un dessin clair et réaliste.

Désireux d’explorer d’autres univers, il abandonne à d’autres (en 1991) la série qui l’a lancé. C’est avec Jean-Charles Kraehn au scénario, un autre auteur estampillé Vécu, qu’il planche sur son nouveau projet : « Tramp ». Il délaisse la France du XIXe siècle pour celle des années 1950, toujours avec le même souci du petit détail qui fait la différence auprès des lecteurs amateurs de belles images. Le premier album sort avec succès, en 1993, aux éditions Dargaud. « Tramp » évoque les aventures de Yann Calec, capitaine de cargo parcourant le monde de l’Afrique à l’Indochine, aux prises avec les trafiquants de tous poils, mais aussi avec les ombres d’un passé trouble. Si dix albums sont publiés jusqu’en 2012, il faudra ensuite attendre août 2017 pour savourer le onzième (lire : « Tramp T11 : Avis de tempête » par Patrick Jusseaume et Jean-Charles Kraehn).

Extrait du tome 6 de « Tramp » : « La Piste de Kibangou ».

Diminué par la maladie, Patrick Jusseaume dessine et met en couleurs les trente premières pages, puis épuisé, il confie la réalisation graphique des suivantes à Jean-Charles Kraehn. On imagine les efforts qu’il a dû déployer pour réaliser ces pages superbes, véritable testament d’un dessinateur méticuleux et exigeant qui, hélas !, finira par poser ses crayons.

Si l’on excepte quelques travaux variés (adaptations de romans pour Je bouquine, participation au « Triangle secret », « Mission Vietnam » chez Glénat…), « Les Chroniques de la Maison Le Quéant » et « Tramp » sont les seules séries réalisées par ce dessinateur ouvert avec les autres, sympathique et discret, qui comptait de nombreux amis dans le monde de la bande dessinée.

Relire ses albums est le plus bel hommage que nous puissions lui rendre.

 Henri FILIPPINI

Planche originale du tome 8 de « Tramp » : « La Sale Guerre ».

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4 réponses à Patrick Jusseaume : disparition d’un maître réaliste !

  1. Merci Henri pour cet émouvant hommage à Patrick Jusseaume, un très grand talent s’en est allé.

  2. Erik A dit :

    Je me souviens auss8 avec émotion du Patrick des années VÉCU que j’ai beaucoup côtoyé, ayant le même scénariste. Alors oui, l’’aventure Tramp ne s’est pas réalisée chez Glénat et qu’importe – excepté peut-être che4 Henri, le pincement de l’avoir fait éclore… avant de le voir éclater ailleurs – j’ai relu il y a peu les tomes réalisés autour de le Quéant et je suis épaté encore de la progression qu’on ressent à chaque image au fil des pages de cet auteur brillant. Je pense à lui, à son épouse et à sa fille…

  3. daniel bardet dit :

    Cruels et émouvants souvenirs d’une époque où nous étions presque voisins, de nos promenades et nos soirées rouennaises durant quelques années, l’arrivée d’Evelyne, la naissance d’Audrey …
    merci a toi Henri d’en « avoir été » et pour lui et pour moi …

  4. Thark B. dit :

    Hommage ému à un grand Artis(te)an de la BD, un dessinateur d’une sacrée trempe/Tramp ! Son évolution graphique m’avait fichu une claque, et je m’en étais encore mieux rendu compte en me procurant un petit mais passionnant bouquin : « Tramp – Sur le pont avec Jusseaume » (éds petit à petit-janvier 1999, textes d’Olivier Cassiau, collection Aficionado) : une petite plongée dans les coulisses de son travail où transparaissent quelques-unes des facettes éclairantes de sa personnalité et de son parcours.
    Respect, monsieur Jusseaume, et merci pour ces bonheurs de lecture, ces décortiquages de planches (… et ça, c’est immortel !).
    Toute ma sympathie attristée pour sa famille, ses amis, et ses partenaires artistiques.

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