« Péyi an nou » par Marie-Ange Rousseau et Jessica Oublié

À une époque ou migrants et migrations font trembler certains états et nombre d’individus qui ont peur pour leur culture (qu’ils croient pure et immuable), il faut rappeler que tous les pays, toutes les régions du monde, se sont nourris des allées et venues des uns et des autres qui, délibérément ou contraints, sont allés voir ailleurs pour tenter leur chance. Ce fut le cas aussi à l’intérieur des régions elles-mêmes et qui plus est quand il s’agit des DOM-TOM pour lesquels on crée un jour le Bumidom…

Le Bumidom (Bureau pour le développement des migrations dans les départements d’outre-mer) est un organisme créé par l’État français, en 1963, pour trouver de la main-d’œuvre afin de relancer l’économie française, autrement dit l’économie métropolitaine, en allant puiser, sous prétexte d’excédents démographiques, dans les territoires d’outre-mer de la main-d’œuvre alerte et bon marché.

La situation y est même devenue tendue, car les descendants d’esclaves sont loin d’être considérés comme des citoyens à part entière. Pourtant, des hommes ont beaucoup œuvré pour que cela change (notamment le poète Aimé Césaire) et parviennent à faire adopter, en 1946, la loi de la départementalisation, dite loi d’assimilation. Mais l’après-guerre et la fin de la Guerre d’Algérie bouleversent les données politiques et économiques. Alors, le Bumidom est inventé pour favoriser et organiser des migrations vers le sol métropolitain. Cela durera jusqu’en 1982, année de sa fermeture.

C’est histoire de ces déplacements de populations depuis les Antilles, la Guyane ou La Réunion, que raconte cet ouvrage extrêmement bien documenté. Au fil d’interviews d’habitants qui souvent n’avaient jamais témoigné sur ce sujet ou de spécialistes, les auteurs reconstituent cette histoire en grande partie ignorée. 160 000 personnes viendront travailler en France, souvent s’y installeront. Restent que ces Français des DOM-TOM sont considérés comme des immigrés et pas comme des Français, d’ailleurs ils sont moins bien payés et tout est fait pour « faire croire à l’ouvrier français qu’il a plus en commun avec son patron français qu’avec son collègue de travail étranger » ! Un comble !

Le Bumidom paie le billet aller, propose des formations, favorise l’embauche, mais ne paie pas le billet retour et forme souvent des gens à des métiers qu’ils n’auront pas la possibilité de pratiquer s’ils reviennent : chauffagistes, réparateurs de chemins de fer… Les auteurs essaient ainsi de comprendre les tenants et les aboutissants de cette situation discriminatoire qui permettra heureusement à certains d’entre eux d’intégrer l’administration des Postes ou de la Santé, mais force est de constater que ce sont toujours pour les postes au plus bas de l’échelle. En fin d’ouvrage, plusieurs spécialistes traitent des conséquences sociologiques et psychologiques de ces années loin du pays natal.

Si la Guyane ou La Réunion sont moins interrogées que les Antilles françaises par cette enquête, l’ouvrage constitue cependant un éclairage riche, vivant et plaisant (le choix de la bande dessinée est très convaincant) sur ce pan de l’histoire de France.

Didier QUELLA-GUYOT  ([L@BD-> http://9990045v.esidoc.fr/] et sur Facebook).

http://bdzoom.com/author/didierqg/

« Péyi an nou » par Marie-Ange Rousseau et Jessica Oublié

Éditions Steinkis (20 €) – ISBN : 9 782 368 462

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