N’hésitez pas à revenir régulièrement sur cet article, puisque nous l’alimenterons, jour après jour, avec tout que nous envoient nos amis dessinateurs, scénaristes, coloristes, libraires, organisateurs de festivals et éditeurs pour vous souhaiter de joyeuses fêtes : et ceci jusqu’à la fin du mois de janvier 2024 !
Lire la suite...Entretien avec l’auteure suédoise Hilding Sandgren, conteuse collectivobiographique de l’adolescence féminine !
Auteure engagée, féministe et activiste transgenre, Hilding Sandgren a écrit deux bandes dessinées en grande partie autobiographiques sur son adolescence dans la campagne suédoise à la fin des années 1990. Elle y transcrit, avec un ton percutant et une grande franchise, l’insouciance et les blessures d’un âge qui n’est plus tendre. Prise par l’écriture d’un troisième roman graphique après « Ce qui se passe dans la forêt » et « L’unE pour l’autrE », la bédéiste a fort courtoisement répondu à nos questions¹.
BDzoom.com : Bonjour Hilding Sandgren, pouvez-vous vous présenter ?
Je suis une auteure de bande dessinée suédoise. Je vis dans la seconde plus grande ville du pays, mais mes pensées sont constamment tournées vers les bois et les champs. Je viens d’un petit village, et c’est là que mes deux histoires autour d’Aida et ses amis se déroulent.
BDzoom.com : Vous signez votre premier album « Hilda-Maria Sandgren », le suivant « Hilding Sandgren », pourquoi ?
J’ai changé mon nom, à l’instar de nombreuses personnes transgenres. Pour moi, il s’agit essentiellement de communication ; c’est une chose que je fais pour gagner en visibilité aux yeux d’autres personnes. Aussi longtemps que j’avais un nom que la plupart des gens percevaient comme féminin, ils tenaient pour acquis que j’étais une femme. En Suède, nous avions d’abord eu des noms avec un genre défini par la loi, puis quelques noms sans genres. Mais de nos jours, chacun peut choisir le nom qu’il souhaite, quel qu’il soit. Nous avons également quelques pronoms neutres (comme dans beaucoup d’autres pays cela est plus ou moins bien accepté) et c’est ce dont je me sers pour me désigner.
BDzoom.com : Quelles sont vos influences dans le domaine de la bande dessinée ? Qu’avez-vous lu en BD plus jeune en Suède ?
J’ai principalement lu des bandes dessinées suédoises. C’est une réponse banale, mais c’est la vérité. Quand j’ai lu les trois livres de Joanna Hellgrens, « Frances » (publiés en France par Cambourakis²), j’ai réalisé pour la première fois que je pourrais, moi aussi, faire des bandes dessinées, en dessinant comme je l’avais toujours fait, en utilisant des crayons plutôt que des stylos, par exemple. Je suis également influencée par des auteures comme Jillan Tamaki, Anneli Furmark, Hanna Gustavsson, pour n’en nommer que quelques-unes. Quand j’étais petite, je lisais Donald Duck et un magazine de bande dessinée suédois appelé Min häst (Mon cheval). Je suivais aussi les aventures de Bamse (personnage de fiction suédois créé par Rune Andreasson en 1966, et très populaire auprès des enfants en Suède) : l’ours le plus fort de la Terre et gentil avec tout le monde. En Suède, quasiment tout le monde a lu les bandes dessinées avec Bamse, mais je ne suis pas sûre qu’elles aient jamais été traduites en français.
BDzoom.com : Quel est votre rapport au dessin ? Avez-vous fréquenté une école d’art ?
Le dessin, pour moi, c’est à la fois une thérapie, de l’orgueil, un travail acharné et parfois, de l’anxiété, une remise en question. C’est également, du moins pour le moment, le meilleur outil que je puisse utiliser pour raconter mes histoires ; pour aborder tout ce dont je ne peux pas parler d’une manière aussi efficace qu’avec le dessin. Je pense par exemple aux émotions, aux humeurs, aux lieux, aux relations, etc.
J’ai toujours dessiné. Énormément. Quand j’étais enfant, je remplissais la maison de mes dessins, et ils racontaient toujours une histoire. C’était comme des séquences de films. C’est d’ailleurs comme cela que je les considère aujourd’hui : mes histoires sont comme des films ou des pièces de théâtre. Simplement, je dessine des personnages au lieu de faire appel à des acteurs.
J’ai suivi des cours dans une école d’arts pendant deux ans. Après cela, j’ai suivi des stages de courte durée dans une université, sur la narration en images et la création de livres pour enfants. C’est au cours de ces stages que j’ai commencé à travailler sur mes bandes dessinées, ou mes romans graphiques, ou n’importe quel terme qui puisse désigner mon travail.
BDzoom.com : Avez-vous des contacts avec d’autres auteurs ? Comment se porte le 9e art en Suède ?
J’ai beaucoup de contacts avec d’autres auteurs. Faire des bandes dessinées et des livres est un travail solitaire, la communauté est donc pour moi un moyen de le supporter. Je fais, par exemple, partie d’un réseau de bande dessinée féministe pour les personnes transgenres et les femmes auteures. Nous nous faisons appeler Dotterbolaget et avons des membres dans toute la Suède. Le but de Dotterbolaget est de lutter contre les structures patriarcales qui imprègnent encore le marché de la bande dessinée aujourd’hui, et dans le même temps de soutenir le travail des femmes et des personnes transgenres.
Grâce à Dotterbolaget et à des auteures telles que Åsa Grennvall, Anneli Furmark, Nina Hemmingsson, Elias Ericson, Liv Strömquist et bien d’autres, nous avons enfin un marché de la bande dessinée où les femmes et les personnes transgenres font entendre leur voix, où elles sont reconnues et admises. Nous n’avons pas atteint l’égalité, mais nous n’en sommes pas loin, et nous n’arrêterons pas tant que nous n’y serons pas parvenus. C’est encore également un espace occupé principalement par des auteurs blancs, et tant que les personnes de couleur n’ont pas les mêmes chances de se faire entendre, on ne peut prétendre s’approcher de l’égalité sur le marché de la bande dessinée. Et c’est ce à quoi nous voulons parvenir, bien entendu.
BDzoom.com : Pourquoi choisir la BD pour raconter vos histoires ? Avez-vous hésité avec un autre mode de narration ?
J’ai commencé à faire de la bande dessinée assez tard, alors que ça faisait très longtemps que je dessinais d’autres choses. J’ai essayé pendant très longtemps, mais j’échouais toujours. Sans doute parce que j’essayais d’imiter d’autres auteurs de bande dessinée, notamment les satiristes politiques, mais ça n’était pas « ma » propre voix. « Ce qui se passe dans la forêt » était en fait ma vraie première bande dessinée. Je n’avais même jamais fait d’histoires courtes en BD avant ça. Quand j’ai décidé que j’allais raconter une histoire à propos de la banalisation du harcèlement sexuel, j’ai immédiatement su comment j’allais le faire.
J’ai choisi la bande dessinée afin de pouvoir raconter une grande partie de l’histoire avec des dessins, en utilisant le texte seulement pour les dialogues, à la manière de ce que je dessine en dehors de la BD. Et tout à coup, tout était simple ! J’avais hésité avec d’autres supports de narration pendant des années et à propos d’histoires différentes, mais jamais avec celle-ci. Ça va paraître idiot, mais commencer à faire de la bande dessinée, c’était comme découvrir une langue maternelle oubliée, ou quelque chose de ce genre.
BDzoom.com : Nous nous attachons dans « Ce qui se passe dans la forêt » et « L’unE pour l’autrE » à un groupe de trois adolescentes de 14 puis 16 ans, prévoyez-vous une suite à leurs aventures, de les accompagner à l’âge adulte ?
Au départ, je prévoyais de faire au moins trois livres sur ce trio d’amies, mais je n’en suis plus sûre aujourd’hui. Je viens de commencer à travailler sur un projet et c’est une histoire complètement différente. Si Aida, Marlène et Tess captent mon attention un jour je reviendrai les chercher. Mais pour le moment, nous allons rester chacune tranquillement dans son coin.
BDzoom.com : Quelle est la part autobiographique dans ces deux bandes dessinées ? Pouvez-vous nous présenter les caractères de Tess, Marlène et Aida ?
Ça a commencé en tant qu’histoire autobiographique, parce que je me suis soudainement rappelé une situation d’abus quand j’avais quatorze ans, et j’ai décidé de raconter cette histoire. Mais au fur et à mesure que la BD s’étoffait et se développait, je me suis affranchie de mes souvenirs individuels et j’ai ajouté à l’histoire ce que mes amis et ma famille me disaient, ainsi que des pans complètement fictionnels. C’est un mélange. Parfois, je l’appelle « collectivobiographie » parce que c’est une histoire dans laquelle trop de gens ayant vécu des expériences féminines se reconnaissent, mais c’est un néologisme, à ce que je sache.
En tout cas, Aida me ressemble beaucoup quand j’avais son âge ; en revanche, les autres personnages sont tous fictifs. Le cadre dans lequel elles évoluent reflète aussi assez fidèlement ceux de ma jeunesse. Aida, Marlène et Tess sont trois meilleures amies. Elles traînent dans les bois, dans des stalles, dans des voitures sur les routes. Elles fument, elles boivent, et même si Aida et Tess sont amoureuses l’une de l’autre elles parlent beaucoup de garçons. En fait, le livre parle beaucoup à mots couverts, de l’identité homosexuelle, de parents alcooliques, et de violence sexuelle, etc. Ces trois adolescentes affrontent tout ce qui les oppresse (je considère cette résistance comme obligatoire), mais elles n’ont pas tous les outils dont elles auraient besoin, à cause du silence, des normes et des tabous, peut-être.
BDzoom.com : Les héroïnes de 14 puis 16 ans ont des rapports marqués par une certaine violence avec les garçons de leur communauté. Est-ce votre vision des rapports entre les sexes ou est-ce lié à cet âge d’initiation qu’est l’adolescence ?
Je vois la violence masculine comme un énorme problème, en particulier lorsqu’elle est dirigée contre les femmes, et à tout âge. Et dans cette violence, j’inclus la violence verbale, sexuelle, économique… Une violence subtile, comme le harcèlement sexuel, s’est banalisée alors que je grandissais et malheureusement ça n’a pas beaucoup changé. Ce qui était du harcèlement était appelé de « l’intérêt ». Ça vous marque, dans votre sexualité et dans l’image que vous vous faites de vous-même, lorsque vous grandissez en apprenant que la sexualité des garçons est aussi active, assertive, agressive, et que le rôle que vous avez à jouer exige que vous soyez passive.
Il devient alors compliqué d’explorer votre sexualité comme vous l’entendez, c’est comme si vous n’aviez pas le temps ou la capacité de le faire. Et ça vous suit tout au long de votre vie, jusqu’à ce que vous preniez un moment pour souffler, et que vous preniez le contrôle de votre propre sexualité. Je pense que certaines parviennent à le faire tôt dans leur vie, mais d’autres le font plus tard, voire jamais. Cela dit, je ne pense pas que toutes les relations hommes-femmes soient abusives. Mais ce sont des expériences que beaucoup d’entre nous portent enfouies en nous, et qu’il est important que chacune reconnaisse. Et si nous-mêmes n’avons pas vécu ces expériences en personne, nous les constatons autour de nous et nous en avons été affectées d’une manière ou d’une autre.
BDzoom.com : Votre récit s’inscrit dans le cadre d’une petite ville du Småland, le paysage et les maisons isolées sont détaillés parfois sur plusieurs pages. Est-ce pour s’appesantir sur le contexte social des protagonistes et/ou pour rappeler un rapport étroit des hommes à la nature ?
Mes paysages et représentations de la nature sont un moyen de conduire le lecteur à travers l’histoire et de varier le tempo, mais je me sers aussi du paysage pour exprimer un sentiment de solitude, pour parler du temps qui passe, ou comme une métaphore. Je suppose que la nature s’impose dans mon histoire parce que je l’ai toujours observée, j’y ai joué, j’y ai passé du temps. C’est pour cela qu’elle est une sorte de personnage, et pas seulement un contexte.
BDzoom.com : Quels sont vos projets en bande dessinée et aurons-nous le plaisir de nous rencontrer en France, au festival d’Angoulême par exemple ?
Je suis sur le point de réaliser ma troisième bande dessinée et c’est encore un peu tôt pour en parler. En particulier parce que je ne suis pas, moi-même, sûre de ce que je vais faire. Si je viens à Angoulême, je devrais être à même de vous en dire plus. Je suis presque sûre que j’y serai.
Laurent Lessous (l@bd)
¹ Merci à Serge Ewenczik des éditions Ça et là pour la traduction de nos échanges avec Hilding Sandgren.
² « Frances » par Joanna Hellgren, Éditions Cambourakis (26 €) – ISBN : 978-2-36624-064-1
« Ce qui se passe dans la forêt » par Hilda-Maria Sandgren
Éditions Ça et là (18 €) – ISBN : 978-2-36990-228-7
« L’unE pour l’autrE » par Hilding Sandgren
Éditions Ça et là (20 €) – ISBN : 978-2-36990-239-3
Pour information, le prochain numéro de BANANAS (à paraître en février 2018) publiera des échanges entre dessinatrices, dont HM Sandgren, lors du débat sur la sexualité organisé en décembre 2016 par le SoBD.
(Autre information, la prochaine édition de ce salon parisien aura lieu le premier week-end de décembre 2017, avec Edmond Baudoin en invité d’honneur.)
Excellente revue dont nous parlons régulièrement sur BDzoom et très bon festival au cœur de Paris qui propose toujours des thématiques intéressantes et des rencontres de haut niveau.