Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Marzi T7 : Nouvelle Vague » par Sylvain Savoia et Marzena Sowa
Les enfants grandissent vite. Tous, sauf Marzi. Six ans que nous attendions la suite de la série autobiographie de Marzena Sowa dessinée par Sylvain Savoia. Au début des années 1990, Marzi est une préadolescente dans une Pologne qui vient tout juste de quitter le monde communiste. Une vie nouvelle s’annonce pour la jeune fille et son pays. Mais par un bel été, Marzi profite simplement de ses premières vacances à la mer.
De 2005 à 2011, en six albums, nous avons vu grandir la petite Marzi : double en bande dessinée de Marzena Sowa. La scénariste nous raconte sa jeunesse dans les années 1980. Elle grandit dans la petite ville industrielle de Stalowa Wola¹ dans un pays alors membre actif du bloc communiste. Mais le monde bouge et le pouvoir autoritaire du général Jaruzelski est de plus en plus remis en question par le syndicat libre Solidarnosc dirigé par Lech Walesa. 1989 est une année charnière : Marzi fête ses dix ans l’année de la chute du mur de Berlin et de retour à la démocratie à Varsovie. Ainsi se termine le premier cycle de six albums de la série.
« Nouvelle Vague » marque le début d’un nouveau cycle de trois albums qui conduiront Marzi de la préadolescence jusqu’à l’âge adulte.
Pour le moment, ce n’est qu’une jeune fille qui vient de terminer brillamment son année scolaire. Après une cérémonie de remise des prix fastidieuse, elle emporte dans l’appartement familial trois plantes de l’école dont elle devra s’occuper pendant les grandes vacances.
Il faut dire qu’elle aura le temps : ses congés sont habituellement occupés à aider sa famille à la campagne. Mais, cette année, ce sera différent. L’usine de son père peut l’envoyer 15 jours en colonie au bord de la mer. Il faut en profiter, le système change, nul ne sait si l’année d’après les enfants d’ouvriers pourront découvrir la grande bleue.
Après une journée de bus pour traverser le pays du sud au nord, Marzi et ses camarades aperçoivent pour la première fois la mer. « C’est la première fois que je vois autant d’eau à la fois. Elle déborde de mon regard » pense, émerveillée, la jeune fille. Avant d’aller se baigner dans la Baltique, les enfants découvrent leurs dortoirs. Un moment pour mieux faire connaissance avec les filles de son groupe, notamment avec Ada, la seule déjà pubère.
Les deux semaines passent très vite : des moments de détente à la plage à la visite de la ville de Gdansk et de ses chantiers navals (lieu de naissance du syndicat Solidarité qui allait renverser le pouvoir communiste) et des premiers émois amoureux à de naïves séances de spiritisme en veillée. Marzi observe, écoute et commence à s’affirmer vis-à-vis des autres et même de ses parents à son retour. Ce n’est plus une enfant, pas encore une adolescente, elle a des rêves plein la tête, notamment celui de profiter de la liberté retrouvée de son pays pour se rendre en France pour ses études.
On est très heureux de retrouver Marzi dans un album, moins introspectif que les précédents. L’action se concentre sur deux semaines de vacances sur les bords de la Baltique. Moment charnière pour la petite Polonaise, le dernier été avant une puberté attendue et redoutée, et pour un pays qui se débarrasse lentement des habitudes de vie prises pendant les 40 ans de la dictature communiste.
Cette œuvre authentique, sincère et délicate, sait sublimer les anecdotes et les souvenirs autobiographiques pour rendre compte des interrogations personnelles et universelles des jeunes filles et donner à comprendre une époque charnière de l’histoire européenne, un moment clef pendant lequel notre continent s’est, non sans mal, réunifié.
Marzena Sowa rappelait les principes de son travail autobiographique dans le deuxième volume de l’édition intégrale en bichromie de « Marzi » ² : « Pour David B. et Gipi : “On se sert de nos expériences pour raconter des histoires universelles. On explique le monde par notre nombril.” J’essaie de faire de même. Je suis Marzi, je raconte Marzi, mais “Marzi” n’est pas que mon histoire. Néanmoins, je n’incarne pas la Pologne, ni l’histoire de la Pologne, je raconte juste ma version, mes souvenirs, tout est subjectif, tout est mien, je ne prétends rien, j’essaie de rester moi-même et raconter le monde à travers moi-même, le bleu-gris de mes yeux, mes lentilles ».
Un petit mot encore pour souligner l’excellence du dessin de Sylvain Savoia. Il s’affranchit du gaufrier des premiers volumes de la série pour des pages plus aérées et plus dynamiques. Il peut détailler de manière assez subtile toutes les expressions des personnages avec son trait semi-réaliste d’une grande pudeur. Voilà qui est de très bons augures pour les prochains albums d’une série qui est remarquable à tous les points de vue.
Laurent LESSOUS (l@bd)
¹ Hasard de la géographie, Stalowa Wola est aussi la ville de naissance du dessinateur de « Thorgal » : Grzegorz Rosiński.
² « Marzi, 1989… » par Sylvain Savoia et Marzena Sowa, Éditions Dupuis (25 €) ISBN : 978-2-8001-4478-8, 2009
« Marzi T7 : Nouvelle Vague » par Sylvain Savoia et Marzena Sowa
Éditions Dupuis (12 €) – ISBN : 978-2-8001-5336-0