Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« To your Eternity » T1 & 2 par Yoshitoki Oima
Si votre référence est « A Silent Voice », « To your Eternity » (du même auteur) va plutôt vous transporter dans un autre monde, loin des préoccupations contemporaines. Pourtant, dans cette œuvre de fantasy mariné de spiritisme, on retrouve toujours un dessin envoûtant et un scénario poignant. Yoshitoki Oima est clairement une auteure à suivre qui sait émouvoir son public sans en faire trop : elle sait viser juste là où il faut.
Si le récit commence à la première personne, il est pourtant énigmatique. Du narrateur, on ne voit que sa main : mais qui est-il ? Nulle importance. En revanche, il se permet de jeter sur terre une sphère aux capacités étranges. Immortelle, elle peut se régénérer sans cesse et absorber la forme de ce qui l’entoure. Seul bémol, elle ne prend que l’enveloppe visible : elle doit tout apprendre de la vie et de ses rudiments, jusqu’à parler ou manger. Au contact de la terre, la sphère prit donc la forme de l’objet le plus proche : une pierre… Puis, de la mousse, au fil des saisons. Jusqu’à ce qu’un loup blanc blessé passe dans le coin et meure à ses côtés. Elle prit donc la forme de cet animal et commença à se mouvoir, jusqu’à arriver à une cabane d’un jeune garçon vivant seul. On comprend rapidement que le reste de son peuple l’a abandonné pour tenter de rallier une contrée plus propice à la vie. L’endroit est en effet assez inhospitalier et ressemble au Grand Nord. Les aïeux, restés avec lui, sont tous décédés au fil du temps. Seul, il n’avait que son loup comme attache. Ce qu’il n’a pas vu, c’est que ce n’est pas l’animal qu’il connaissait qui est revenu, mais seulement une chose mystique ayant son apparence. Mais ça, il ne s’en rend pas compte, trop heureux d’avoir de la compagnie. Ensemble, ils vont essayer de rejoindre le reste du groupe, mais exténué, il va finalement faire demi-tour et renoncer à tout.
Bien sûr l’histoire ne s’arrête pas à ces contrées reculées et enneigées, la sphère va évoluer, prendre la forme des différents morts qu’elle va croiser et donc leur redonner un semblant de vie aux yeux des leurs. Elle va quand même mettre à rude épreuve ses enveloppes charnelles, ne comprenant pas encore qu’il faut se nourrir pour vivre ou ne pas se blesser, et donc mourir. Mais à quoi bon s’inquiéter quand on est immortel et que l’on peut, telle une pâte à modeler, régénérer son corps sans fin, au gré des êtres ou des choses rencontrés en cours de route ?
Le lecteur va ainsi suivre les errances de cette mystérieuse boule qui évolue dans un monde fait de croyances barbares où la domination et le pouvoir des nantis sur les indigènes sont montrés de manière crue. Ainsi, dans le second chapitre, le lecteur partage la destinée d’une enfant dont le rêve est de devenir adulte et fonder une famille. Rêve qui va être brisé par une croyance ancestrale exigeant le sacrifice d’une jeune fille pur pour calmer la colère des dieux. Le rôle de la sphère, dorénavant prénommée Imm, est au cœur de ce drame avec ses métamorphoses et son apprentissage permanent au contact de ceux qui l’entourent. Partie de rien, une pierre sans vie ni conscience, Imm évolue comme un enfant qui apprend à marcher, à devenir propre, à manger convenablement, à balbutier quelques mots, voire à développer de la compassion et de la cohésion sociale.
Bien sûr, si vous avez lu le chef-d’œuvre qu’est « A Silent Voice », vous connaissez les valeurs humaines qui animent les scénarios de Yoshitoki Oima. Mais vous savez aussi qu’elle sait torturer ses personnages et que le bien et le mal ne font souvent qu’un. Ici, dans « To your Eternity » on retrouve exactement les mêmes valeurs, les mêmes sentiments d’injustice face à la vie de tout un chacun. Sous ses airs bon-enfant, « To your Eternity » est un manga dur. Comme la vie, dont la mort fait partie, peut être dure au quotidien, mais cette histoire sait également apporter son lot de bonheur.
Contrairement à ce que l’on pourrait penser en s’arrêtant à la couverture de cette série, « To your Eternity » n’est pas destiné aux jeunes enfants. Si le scénario, bien réfléchi, est fluide et que les dessins sont bien lisibles, le thème reçurent de la mort avec la torture intellectuelle qu’elle implique, rend tout de suite le sujet un peu pesant. Un adolescent sera de son côté plus réceptif aux messages sous-jacents et leurs portées psychologiques assumées. Dans tous les cas, ce manga mérite que l’on s’y intéresse, et une chose est sûre, vu le sujet, l’apprentissage de la vie par un être immortel, la série peut durer une éternité.
Gwenaël JACQUET
« To your Eternity » T1 & 2 par Yoshitoki Oima
Éditions Pika (6,95 €) – ISBN : 978-2811635473
FUMETSU NO ANATA E © Yoshitoki Oima / Kodansha Ltd.