Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Sept athlètes » par David Morancho, Bertrand Galic et Kris
En juillet 1936, des olympiades antifascistes sont organisées à Barcelone, en protestation contre les JO de Berlin. À la veille de l’inauguration, Franco s’empare du pouvoir : pris au piège, le souffle haletant mais le cÅ“ur et l’esprit tournés vers la liberté, sept athlètes vont choisir l’épreuve des armes. D’origines diverses, voici ces sportifs à jamais soudés, au nom d’idéaux communs. De nouveaux réunis après leur formidable « Un maillot pour l’Algérie », les scénaristes Kris et Bertrand Galic narrent en compagnie de l’illustrateur David Morancho (« Sara Lone ») l’incroyable destin de l’esprit olympique dans l’enfer de la guerre d’Espagne…
Dans « Un maillot pour l’Algérie » (Dupuis, avril 2016), Kris et Galic racontaient comment, en 1958, à la veille de la Coupe du monde en Suède, douze footballeurs de Première Division quittèrent clandestinement la France et rejoignirent les rangs du FLN, dans le seul but de créer la première équipe nationale algérienne de football ; un symbole pacifique d’indépendance fort, à l’aube de la guerre d’Algérie. Dans le présent « Sept athlètes », nous retrouvons avec justesse et émotion les mêmes rapports tissés entre une histoire humaine véridique, le sport, la guerre et l’engagement politique. Pénultième titre de la troisième saison de la série « Sept », débutée en septembre 2015 avec « Sept Nains » (Lupano et Ali), « Sept athlètes » est le seul titre de toute la collection à se présenter comme une histoire vraie, au-delà de la part d’invention liée aux portraits des principaux protagonistes. Comme le raconte Bertrand Galic : « L’élaboration de cet album remonte à plus de trois ans maintenant… Et tout est né d’une discussion avec l’ami Kris, lors du festival Quai des Bulles. C’est en effet là -bas qu’il m’a fait part de son envie de se lancer dans l’écriture de récits de bande dessinée où se mêleraient la grande Histoire, la politique et le sport. Il recherchait des sujets encore non traités, méconnus, voire complètement passés aux oubliettes. J’ai tout de suite trouvé son projet intéressant et me suis immédiatement mis en quête de la bonne idée, de la perle rare. C’est ainsi que mes recherches me permirent de découvrir l’histoire incroyable de la toute première équipe nationale algérienne de football, créée dans le contexte pour le moins douloureux de la guerre d’Algérie. J’étais persuadé que nous avions là la base d’un formidable récit, très riche et profondément humain. Kris en fut convaincu dès le départ, lui aussi. Tout comme David Chauvel, directeur de collection aux éditions Delcourt. Les aventures de Rachid Mekhloufi et consorts ne purent toutefois pas, au final, venir s’inscrire dans la série-concept « Sept ». Tout simplement parce que nos footballeurs algériens étaient au moins neuf, absolument irréductibles à … sept. C’est donc logiquement qu’ « Un maillot pour l’Algérie » a finalement été accueilli par un autre éditeur : Dupuis et son label Aire Libre. Entretemps et parallèlement, nos recherches nous menèrent aux Olimpiadas populares, anti-jeux de Berlin devant se tenir à Barcelone en juillet 1936, à l’appel des forces de gauche républicaines. Une fiction historique allait naître sur ces bases, soutenue par le breton David Chauvel, bientôt scénarisée par deux Brestois, dessinée par le catalan David Morancho, colorisée par le galicien Javi Montes ! »
Celles qui resteront dans l’Histoire sous le sobriquet des « olympiades oubliées » ou des « contre-jeux » débutèrent par un vaste mouvement européen de protestation : pas moins de 500 000 signataires valideront ainsi en 1934 la pétition déplorant l’organisation des Jeux à Berlin en 1936 ; bien que la ville ait été choisie – dès 1931 – pour applaudir le retour de l’Allemagne dans le « concert des nations » dites démocratiques (sic). En juillet 1936, le CIO et le gouvernement français voteront bel et bien en faveur des JO de Berlin . Dirigée depuis sa création en 1934 par le socialiste français Léo Lagrange, la nouvelle Fédération Sportive de Gauche (FSGT) dialoguera pour sa part avec la Catalogne, Prague et Anvers. La victoire du Front populaire espagnol en février 1936 relance tous les espoirs : les « Olympiades populaires » de Barcelone sont officiellement annoncées, sur fond de boycott des Jeux olympiques nazis. Six mille athlètes hommes et femmes, en provenance de 23 pays, s’y inscriront ! Coup du sort : fixée au 19 juillet 1936, la date d’ouverture va être tragiquement précédée du pronunciamiento du général Franco contre le gouvernement républicain. La tentative de coup d’état militaire nationaliste, bien qu’avortée, va lancer la guerre civile dans tout le pays. Descendus dans la rue pour manifester, quelques sportifs sont blessés ou tués. Aussitôt annulées afin d’éviter le massacre, les Olympiades entérinent le retour des athlètes vers leurs pays respectifs : quelques uns décideront de rester sur place, pour combattre le fascisme par tous les moyens… En août 1936, les athlètes français défileront à Berlin en faisant le salut olympique : un geste ambigu qui restera à jamais mal interprété (puisque étant identique au salut nazi), alors que les délégations anglaise et américaine – réduites – feront le choix de détourner la tête en passant devant la tribune d’Hitler.
En couverture, au sommet de la maquette du premier plat, l’illustration doit résumer l’essentiel : une atmosphère (la guerre d’Espagne, au travers d’un d’un mur criblé de balles et du célèbre slogan antifasciste « ¡No pasarán! », devise de la Pasionaria communiste Dolores Ibarruri), des personnages (ici, les 7 ombres des sportifs, complétées de leur représentation en pied et en muscles sur le 4e plat) et une accroche digne d’Orwell (1945) : « Le sport c’est la guerre, les fusils en moins » ! Par ce biais comme par l’ensemble de sa trame, l’album poussera amplement à la réflexion concernant les relations compliquées unissant la guerre au sport : entre condamnation, dénégation de tout lien historique et indifférence feinte, on ne pourra s’empêcher de noter (et d’autant plus dans le contexte de 1936) les ressemblances fortes, érigées en dogmes et modèles, entre les valeurs militaires et les valeurs sportives. Souvent considéré comme un vecteur de relations plus pacifiques entre les hommes et les nations, sorte de dérivatif à « l’agressivité naturelle » des uns envers les autres, le sport – y compris à travers les Jeux Olympiques – aura eu bien du mal à demeurer le garant d’une telle thèse. S’il fallait résumer, là où l’important n’est en définitive que de gagner, tout devient histoire et sujet d’affrontements… Une thématique que Bertrand Galic et Kris retrouveront dans leur prochaine création : 4 tomes pleinement consacrés chez Futuropolis à la vie de la monstrueuse sportive Violette Morris (dessin par Javi Rey).
Philippe TOMBLAINE
« Sept athlètes » par David Morancho, Bertrand Galic et Kris
Éditions Delcourt (15,50 €) – ISBN : 978-2756054667