Apparue pour la première fois dans le mensuel Tchô ! en 2003, Lou est devenue un best-seller de l’édition, avec plus de trois millions d’albums vendus, une série d’animation, un long métrage, des traductions dans le monde entier… Un tel succès méritait bien cet ouvrage anniversaire, qui nous propose — en plus de 300 pages — de revenir sur l’histoire de l’héroïne qui a grandi avec ses lecteurs. Tout en ouvrant généreusement ses carnets de croquis, Julien Neel évoque — au cours d’un long entretien — son propre destin, lié depuis 20 ans à celui de la petite fille blonde devenue grande.
Lire la suite...« Les Maîtres de White Plain T1 : Liens de haine » par Antoine Giner-Belmonte et Édouard Chevais-Deighton
En 1839, c’est dans une ambiance pour le moins délétère qu’un enfant prénommé Charles Berthier voit le jour au sein de la plantation sudiste de White Plain. Treize ans plus tard, en digne représentant d’une classe blanche arrogante et raciste, son sang ne fait qu’un tour lorsqu’il découvre l’étrange sympathie manifestée par sa mère pour Moïse, un jeune esclave du même âge que lui. Entre les deux adolescents se développe dès lors une haine irrémédiable : un maillon paradoxalement susceptible d’enchaîner le destin de l’un à celui de l’autre jusqu’à la guerre de Sécession…
Certains projets sont de longue haleine ! Imaginé en trois parties de 46 planches chacune depuis la fin des années 2000 par le scénariste Édouard Chevais-Deighton (lequel venait d’en finir avec la marine nationale, après 24 années de bons et loyaux services), le projet « Liens de haine » sera sagement ramené à un double 54 planches. Initialement pensé pour intégrer la collection Secrets dirigée par Frank Giroud chez Dupuis, le récit sera débuté en compagnie du dessinateur espagnol Borch. Abandonné au profit d’autres titres (les 2 tomes de « L’Alternative », parus chez Glénat en 2009 ; « Guillaume, bâtard et conquérant » chez Soleil en 2014), le scénario renaîtra donc sous le label Grand Angle, mis en images par Antoine Giner-Belmonte, un dessinateur qui réalise ici – avec talent et après deux ans de travail – son premier album à titre professionnel. Placées sous l’œil expert d’un mentor nommé Christian Rossi, les planches ne cherchent pas à cacher leurs influences graphiques : cadrages, encrages et aplats de noir puissants rappelleront tant son propre « Jim Cutlass » (1979) que le « Blueberry » de Giraud, sans compter les multiples références fictionnelles liées au genre : d’ « Autant en emporte le vent » (Fleming, 1939) à « Django Unchained » (Tarantino, 2012) ou « Twelve Years a Slave » (McQueen, 2013) en passant par « Nord et Sud » (ABC, 1985 à 1994), « La Case de l’Oncle Tom » (Beecher Stowe, 1852) et « Huckleberry Finn » (Twain, 1884).
Hasard ou coïncidence, ce premier volume des « Maîtres de White Plain » vient s’accorder, au sein des récentes productions Bamboo, avec « L’Amour est une haine comme les autres », titre chroniqué sur BDzoom.com en février dernier (voir notre article). Dans un cas comme dans l’autre, c’est entre lutte abolitionniste et revendication des droits civiques que s’expriment les ressentiments viscéraux de deux frères ennemis. L’un blanc et l’autre noir, soit deux faces d’une même médaille devenue l’évidente incarnation symbolique d’une Amérique plus divisée que jamais sur les questions de la tolérance et de l’avenir d’une nation multiethnique.
Concernant son arrivée sur le projet et la genèse de la couverture, Antoine Giner-Belmonte explique : « Édouard avait scénarisé cette histoire il y a quelques années déjà et, suite au désistement du dessinateur, il m’a proposé de la reprendre sachant que j’avais un penchant pour ce type de fiction. J’ai réalisé un essai sur 2 planches qui a plu à Hervé Richez, directeur de collection chez Bamboo. Édouard m’a laissé pas mal de champs pour intervenir tant au niveau du découpage que de l’histoire et a été extrêmement attentif aux remarques et suggestions que je pouvais lui faire ; ça m’a vraiment permis de rentrer dans le projet en n’ayant plus que des soucis de dessins à résoudre.
Une fois l’album terminé, je me suis demandé quelle image pouvait en ressortir. Il y en avait quelques unes qui me plaisaient, notamment celles avec les steamboats amarrés au quai et les esclaves chargeant les balles de coton, mais l’image n’était pas particulièrement représentative. Il fallait quelque chose qui nous mette directement dans l’ambiance, en présentant le lieu, l’époque et surtout les personnages. Une des difficultés, c’est qu’il y en a beaucoup et je voulais à tout prix éviter une couverture qui fasse photo de famille devant la plantation. Avec le titre, cela devenait redondant et convenu. De plus, je souhaitais qu’elle soit tirée d’une scène de l’histoire : l’album, commençant par la punition d’un esclave qui a tenté de s’enfuir et se finissant quasiment sur l’un des héros qui y parvenait, me permettait de former une sorte de boucle que je pouvais relier et de cristalliser sur le personnage de Moïse qui est, malgré lui, l’élément déclencheur du drame familial dans lequel White Plain est plongé. Dès que cet axe a été défini, les images sont presque venues toutes seules et il n’y a plus eu qu’à choisir sur quelle variante partir. Après la validation de l’éditeur pour la réalisation de l’illustration, je suis parti sur une technique mixte mêlant la gouache (pour son aspect pictural) à des teintes travaillées numériquement ».
En couverture, donc, le lecteur comprendra l’essentiel : à l’avant-plan, la fuite de deux esclaves noirs à travers l’enfer vert du bayou. Mousses espagnoles, alligators et nuit d’encre viennent compléter la sinistre vision tandis que, à l’arrière-plan, le suspense de cette course-poursuite est entretenu par la monstration des poursuivants, flambeaux, fusils et chiens à l’appui. Nous évoquions précédemment le récit autobiographique de Solomon Northup (datant de 1853 et porté à l’écran dans « Twelve Years a Slave »), et il convient ici d’en citer ce terrible passage évocateur : « En regardant vers l’amont du bayou, je vis Tibeats et deux autres hommes chevauchant à vive allure, suivis d’une meute de chiens. Il y en avait huit ou dix. Je les reconnus malgré la distance : ils appartenaient à la plantation voisine. Les chiens utilisés pour traquer les esclaves à Bayou Bœuf sont des limiers, mais d’une race bien plus sauvage que ceux qu’on trouve dans les États du Nord. Ils attaquent les noirs sur ordre de leur maître et s’accrochent à eux comme les bouledogues aux quadrupèdes. On entend souvent leurs aboiements retentir dans les marais. On se demande alors quand un fugitif va être rattrapé, de même que les chasseurs new-yorkais s’arrêtent pour écouter leurs chiens courant sur les collines, et annoncent à leur équipier où le renard sera capturé. Je ne connais aucun esclave qui ait réussi à s’échapper vivant de Bayou Bœuf. Cela s’explique en partie par le fait que les esclaves n’ont pas le droit d’apprendre à nager et sont incapables de traverser la moindre rivière. Or leur fuite ne peut les mener très loin sans qu’ils rencontrent un bayou et soient confrontés à cet inévitable choix : se noyer ou se faire rattraper par les chiens ».
Récit dense, classique et maîtrisé, ce premier opus délivrent des personnages attendus : femme en détresse, enfants tourmentés, contremaître odieux, propriétaire paternaliste et esclave révolté. Sans édulcorer les rapports brutaux entretenus à tous niveaux sous la façade raffinée, Chevais-Deighton (notamment guidé par l’ouvrage documentaire « Ma Louisiane : Au temps de la guerre de Sécession » de Céline Frémaux-Garcia ; Perrin, 1998) livre un album reflétant la fin d’une époque : le suivant démarrera en plein conflit civil, au beau milieu de la bataille d’Antietam (17 septembre 1862). Un signe de qualité pour les connaisseurs, dans la mesure où le fabuleux « Glory » (Edward Zwick, 1989) s’ouvre de même !
Philippe TOMBLAINE
« Les Maîtres de White Plain T1 : Liens de haine » par Antoine Giner-Belmonte et Édouard Chevais-Deighton
Éditions Bamboo (13,90 €) – ISBN : 978-2-81894-154-6
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