« Innocent rouge » T1 par Shin’ichi Sakamoto

Shin’ichi Sakamoto n’en a pas fini avec la famille Sanson. Il a déjà réalisé neuf tomes de la préquelle, sobrement intitulée « Innocent », qui se focalisait sur l’apprentissage de Charles-Henri Sanson au métier impitoyable de bourreau du roi. C’est maintenant la vie de cet héritier maudit, à l’aube de la Révolution française, que le lecteur découvre dans « Innocent rouge ». Avec un trait toujours majestueux et une mise en scène grandiloquente, une fois ce livre refermé, vous ne verrez plus ce passage sombre de notre histoire de la même façon.

Dans cette suite de la série « Innocent », le lecteur retrouve un Charles-Henri Sanson dans la fleur de l’âge. Il a pris de l’assurance et accompli son métier avec ardeur et talent. Il règne dorénavant sur la famille des exécuteurs de France, sous la haute surveillance du roi. Son métier l’amène également à pratiquer la médecine, grâce à sa connaissance des arcanes du corps humain. C’est cette science, celle d’ôter la vie comme de la donner, que Charles-Henri va partager avec sa propre progéniture. Il a un petit Henry, qu’il forme afin de lui succéder tout comme son père l’a fait avec lui. Sauf que Henry est bien plus docile : il apprend vite, même s’il a de la compassion pour ces hommes et ces femmes mis à mort. Il va apprendre à effectuer sa tâche de manière propre et rapide. Si son père a eu une crise morale à l’adolescence, Henry semble plus discipliné et est conscient de la lourde tache qui l’attend. Il va prendre la succession de sa famille, comme le veut la tradition, malgré la Révolution française qui arrive à grands pas. C’est dans une France en pleine mutation que le travail de Charles-Henri Sanson prend ici toute son ampleur.

Toujours dessiné avec beaucoup de finesse, ce manga est un chef-d’œuvre graphique, même s’il s’éloigne de la vérité historique. L’accoutrement des protagonistes ne laisse aucun doute au lecteur : il s’agit d’une fiction basée sur la vie de cette famille de bourreaux ayant effectivement vécu à la fin du XVIIIe siècle. Il suffit de voir les somptueux habits et l’attitude de Marie-Josèphe, la jeune soeur de Charles-Henry qui est en charge de l’office de Versailles. Elle ressemble plus à une icône Glam-Punk avec ses tempes rasées et sa chemise à jabot. Même les gueux et la populace sont tirés à quatre épingles, alors que le sang des exécutions les éclabousse ; voire même lorsqu’ils se font briser les membres sous les coups du bourreau, dans une débauche graphique amplifiant leur souffrance.

La période post-Révolution française fascine depuis longtemps les Japonais. Dans les années 1970, Riyoko Ikeda publiait « La Rose de Versailles » : une fresque épique mettant en scène Oscar François de Jarjayes, une jeune fille que son père va élever comme un garçon et qui va ainsi devenir commandant de la garde royale auprès de Marie-Antoinette. Déjà, à l’époque, Ikeda avait sublimé les personnages dans le plus pur style shojo manga. Shin’ichi Sakamoto a de son côté pris le parti de réaliser un seinen, donc plutôt destiné a un public masculin. Du coup, il a su mélanger la douceur de son personnage avec ce monde violent dans une explosion artistique au service de l’histoire qu’il avait à coeur de raconter. La délicatesse de son trait dépeint à merveille la douceur ou la froideur de ses héros. Chaque page, chaque case est un tableau expressif où l’on pourrait s’attarder des heures, si l’on n’avait pas une histoire prenante à suivre.

« Innocent rouge » c’est un opéra rock aux costumes outranciers : une fresque épique où l’action est mise en valeur par un graphisme surréaliste d’une beauté extrême pour un sujet pourtant sombre, que ce soit la destiné des Sanson, exécuteurs du peuple ou de l’époque qui va mener la France à la révolution.

Gwenaël JACQUET

« Innocent Rouge » T1 par Shin’ichi Sakamoto
Éditions Delcourt (7,99 €) – ISBN : 978-2756095653

INNOCENT ROUGE © 2015 by Shin‐ichi Sakamoto/SHUEISHA Inc.

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