« Indeh : une histoire des guerres apaches » par Greg Ruth et Ethan Hawke

Ces derniers mois ont vu le petit monde de la bande dessinée consacrer pas moins de trois albums au peuple Apache : « Geronimo » par Clément Xavier et Lisa Lugrain (octobre 2016, chroniqué ici par Philippe Tomblaine), « Geronimo » de Matz et Jef (Rue de Sèvres, paru en Mars), et celui-ci, qui, à l’instar de ma dernière chronique (« Harlem Hellfighters »), a connu un parcours long et laborieux avant de trouver la forme définitive que l’on peut lui découvrir aujourd’hui.
De la belle ouvrage.

Ethan Hawke a découvert l’existence et la réalité du peuple apache lors de son enfance, alors qu’âgé de huit ans, son père, brisé par son récent divorce, les avait amenés tous deux au cœur du désert, entre la frontière de l’Arizona et le Nouveau-Mexique. Ils s’étaient, en effet, introduits par mégarde dans une réserve. L’enfant garda un souvenir ému de la rencontre avec un vieil Indien, et chercha ensuite à rassembler un maximum d’informations sur ce peuple fier, qui a subi, comme bien d’autres tribus, le génocide de la colonisation de tout le territoire américain.

Nous sommes en 1859, en territoire apache : une zone désertique s’étalant de l’Arizona au Nouveau-Mexique. Les relations entre les Indiens et les Mexicains qui occupent la zone frontalière sont tendues. Goyahkla, jeune et brave guerrier, vient de perdre sa famille entière dans une attaque mexicaine. Détruit par ce drame, mais remonté par une vision, il rejoint le chef Cochise puis, avec quelques guerriers, commence une reconquête vengeresse faite de razzias : dont le premier village mexicain d’Arzipe subira les outrages. C’est là qu’à l’occasion de la Saint Jérôme, fin septembre, il deviendra Geronimo, comme un sacrilège au saint fêté pour les labours. 

D’autres villages seront attaqués, mais l’implantation des colons blancs américains (les « Yeux blancs » pour les Apaches) ne posera pas trop de problèmes. Jusqu’au jour de la traîtrise faite à Cochise par l’armée américaine, deux ans plus tard, à fort Bowie, alors qu’on l’accusait injustement d’avoir kidnappé un enfant. Celui-ci s’échappe de justesse, mais laisse derrière lui quelques membres de sa famille. Après libération de sa femme et de son fils, il subira néanmoins l’exécution de ses trois frères, sous les ordres du colonel Bascom, n’obtenant pas ce qu’il voulait. Ce sera la goutte d’eau qui enflammera la région pendant plus de vingt ans, jusqu’à la reddition de Geronimo, en 1886.

Dans ce récit, Ethan Hawke a plutôt choisi de suivre la voie de Cochise : le grand chef Chiricahuas qui avait accepté la paix proposée par le général Oliver Otis Howard et le déplacement dans une réserve. Celle de Tularosa avait été d’abord proposée, car Ojo Caliente, réclamée par les Indiens, disposait d’un sol riche en minerai d’or. C’était un pari risqué. Mais l’accord fut respecté, et Cochise y vécut jusqu’à sa mort, en 1874.

Le grand chef Cochise

C’est cette amitié, et celle du lieutenant Gatewood, qui sont traitées en priorité ici. Et c’est tout à l’honneur de l’auteur d’avoir, à l’instar de films comme « La Flèche brisée », choisi de montrer, et de conclure en partie l’ouvrage, sur des relations humaines entre les deux peuples, plutôt que d’avoir appuyé le trait de l’aspect génocidaire des autochtones. Aucune exaction, qu’elle soit d’origine indienne ou blanche, n’est voilée et la conclusion, qui intervient au moment où Geronimo va historiquement prendre la succession sur Cochise pour la suite des confrontations avec l’armée US, nous laisse entendre que l’issue est de toute façon tracée.

Ethan Hawke, acteur, scénariste, metteur en scène de théâtre, et romancier, a eu l’occasion de tourner avec des Amérindiens, puis de retourner dans l’Ouest, plus tard, pour un voyage en canoë, alors que, ironie du sort, il divorçait aussi. C’est à cette occasion que son guide lui a fait connaître le livre consacré aux guerres apaches : « Nous étions libres comme le vent » de David Roberts. Il réalise alors combien les Américains sont encore ignorants de tout cet aspect de leur histoire, et il projette de l’adapter au cinéma. Mais la tâche est rude. Malgré ses relations, le projet semble ne pas pouvoir se faire. C’est en visitant un jour avec son fils la librairie BD Forbidden Planet qu’il prend conscience qu’un roman graphique pourrait rendre justice à son projet.

Greg Ruth, le dessinateur qu’il a choisi, et qui a, par un hasard bienvenu, été remis en avant ici lors d’une récente chronique pour son « Freaks of the Heartlands » est quant à lui un « jeune » artiste, à suivre. On n’avait pas eu l’occasion de l’apprécier en France depuis son magnifique « Conan Born on the Battlefield » en 2010, chez Panini, et il offre là un bel écrin au récit d’Ethan Hawke : ce dernier ne pouvait sans doute rêver meilleur illustrateur. Le travail au lavis gris nous immerge avec délice dans le désert et l’histoire, tandis que les corps des hommes et des chevaux sont superbement animés par l’encre, dans un découpage très aéré. Le plaisir esthétique est tel que toutes ces planches pourraient pratiquement faire office d’art-book. Greg Ruth a publié un autre roman graphique à tendance fantastique intéressant en 2013 aux USA : « Lost Boy ». Personnellement, je pense que l’on a à faire là à un futur grand en devenir, que nous aurons, j’espère, l’occasion de relire bientôt.

Une scène critiquée pour son manque de réalisme historique...

« Indeh » a été nominé aux USA pour les Eisner Awards, et il le mérite, quand bien-même certains sites accusent Ethan Hawke d’avoir un peu trop utilisé le texte des mémoires de Géronimo, sans le citer, et d’user de raccourcis sur certains épisodes de sa vie. (1) Lorsque l’on a lu les mémoires et que l’on sait que Géronimo lui-même ne se souvenait pas de tout, l’attaque est un peu facile. Présenté dans un format épais et un beau cartonnage, « Indeh » (qui signifie « le peuple mort ») apparaît néanmoins comme une très belle œuvre, dont la dimension pédagogique reste forte quoi qu’il en soit. Elle ne remplacera pas un livre d’histoire, mais ravira tous les amateurs de westerns, d’histoire, de culture indienne, mais aussi de dessin.

Franck GUIGUE

« Indeh : une histoire des guerres apaches » par Greg Ruth et Ethan Hawk

Éditions Hachette comics (19,95 €) — ISBN : 978-2-01625-20-16-1

Pour aller plus loin, on pourra se reporter à la bibliographie américaine en fin d’ouvrage, mais je ne saurais que trop vous conseiller aussi ces livres et films :

— « Mémoires de Geronimo » (telles que rapportées par Dalkugie, fils du chef apache Juh, ami de Geronimo) par S. M. Barret (inspecteur général de l’éducation), aux éditions La Découverte, en 2003 (première édition en 1972).

— « L’Histoire des Apaches : la fantastique épopée du peuple de Geronimo » par Jean-Louis Rieupeyrout, chez Albin Michel (1987).

— « Nous étions libres comme le vent : de Cochise à Geronimo, une histoire des guerres apaches » par David Roberts, chez Albin Michel (1999).

— « Geronimo » : téléfilm de Roger Young (1993).

— « Geronimo : an American Legend » film de Walter Hill (1993), moins réussi, mais plus épique.

(1) https://americanindiansinchildrensliterature.blogspot.fr/2016/12/not-recommended-indeh-story-of-apache.html

Galerie

2 réponses à « Indeh : une histoire des guerres apaches » par Greg Ruth et Ethan Hawke

  1. JEAN dit :

    Il y a aussi le « Geronimo » d’Arnold Laven en 1962.

  2. Franck dit :

    Certes, merci Jean pour cet ajout à mon conseil filmographique, qui n’avait de toute façon aucune prétention d’exhaustivité. Malheureusement, ce film, que je n’ai pas vu, a apparemment un intérêt que très limité. Cf : « On sait parfaitement bien que Hollywood ne s’est que rarement soucié de la véracité historique, et là encore, sans que cela ne pose a priori de soucis, les approximations sont nombreuses. Ce ne serait pas du tout gênant si le film avait été intéressant ; ce qui n’est malheureusement pas le cas malgré les nobles intentions de départ ; celles consistant à se placer du côté des Apaches pour tracer le portrait d’un homme déterminé à sauver son honneur et ses libertés et, dans le même temps, à pointer du doigt les conditions de vie misérables dans les réserves, l’obligation qu’avaient les Indiens de se convertir au christianisme, la tentative par les Blancs d’annihiler la culture et le mode des vie des natives… » A lire en entier sur : http://www.dvdclassik.com/critique/geronimo-laven

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