Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Après la pluie » T1 par Jun Mayuzuki
Voilà un manga romantique bien étrange. Si l’héroïne est jeune (18 ans), l’élu de son cœur qui n’est ni spécialement beau, ni spécialement riche, ni spécialement charismatique, est surtout bien plus vieux : il a 45 ans. C’est un gérant ordinaire, d’un café ordinaire, vivant une vie ordinaire. Pourtant, Akira est attiré par lui : elle trouve même charmant tout ce que d’autres considéreraient comme des défauts. Son seul souci, c’est que cet homme est également son patron.
Akira Tachibana est une fille à la fois joviale, mais au caractère bien trempé. Son comportement est assez énigmatique pour la plupart de ses fréquentations. Secrète, elle ne s’étend pas sur sa vie privée. Du coup, personne ne sait qu’elle est amoureuse d’un homme ayant plus du double de son âge. Après les cours, elle travaille comme serveuse dans le bar dont celui-ci est le gérant. Championne de course, elle fonce comme un guépard, mais une blessure à la jambe droite a stoppé net toute velléité de compétition, ce qui l’a obligé à changer de vie.
De son côté, Masami Kondo, 45 ans, divorcé, avec un enfant, est un gérant de bar, tout ce qu’il y a de plus classique. Extrêmement attentionné, il est au service de ses clients. Usé par la vie, sans réelle possibilité d’évolution dans sa carrière, il laisse passer le temps sans passion. L’arrivée d’Akira va le déconcerter. Au début, très froide, par timidité, elle va s’ouvrir au fil des pages et attiser la curiosité de son patron, lequel va découvrir une jeune fille passionnée et passionnante.
Même s’il est une romance, ce titre est un vrai seinen. Si, au départ, c’est le point de vue d’Akira qui est plutôt évoqué, celui de Masami est de plus en plus présent au fil du récit. Ce qui a comme conséquence de densifier l’atmosphère du récit qui ne repose pas sur un simple jeu de drague entrecoupé de fan service comme dans la plupart des mangas de ce type destiné aux adolescents. Le récit est bien plus profond que ça. Les personnages sont adultes et se comporte comme tels. Masami est conscient de son âge et n’imagine pas une seconde qu’une jeune étudiante puisse s’offrir à lui. Même si, comme tout homme, il se permet de rêver de temps en temps à sa jeunesse perdue et imagine comment il se serait comporté s’il avait toujours 20 ans. De toute façon, il est évident pour lui qu’elle fréquente déjà un copain de son âge, puisqu’il l’a déjà vue discuter avec Yoshizawa : un camarade de classe qui essaie, sans succès, de lui faire du charme.
En décalage total avec les jeunes filles de son époque, avec des goûts plutôt bizarres, cette lycéenne est pourtant attendrissante. Mais ça, peu de monde le voit, car elle le cache bien. Pourtant, elle essaie de se montrer plus accessible auprès de son patron, même si cela lui demande de ne pas répondre de travers et de manière un peu agressive à cause de sa timidité. Pourtant, au fur et à mesure du récit, elle va finir par faire sa déclaration. Si la première fois, Masami ne l’a pas prise au sérieux, elle finira, auprès de nombreuses pages, par la renouveler. C’était un jour de pluie, et c’est là que tout a réellement commencé.
Ce titre, avec son traitement adulte des relations sentimentales, est une vraie révélation. Loin des récits simplistes qui peuvent pourtant faire du bien au moral, « Après la pluie » reste assez déconcertant de par son côté réaliste. C’est la vie et elle n’est pas toujours simple. La seule chose à retenir, c’est que l’on est maître de son destin et qu’il faut le prendre en main si on veut que les choses changent. Ce qui est valable aussi bien pour Akira que pour Masami.
Le graphisme très propre de Jun Mayuzuki joue un rôle prépondérant dans l’empathie que le lecteur développe en se plongeant dans l’histoire. Très fin, le dessin arrive à très bien montrer la tristesse et la nonchalance des personnages. Mais, certaines pages, contemplatives, sont tellement fortes qu’elles apportent un sentiment d’allégresse qui relance immédiatement le plaisir de la lecture. Il est rare de voir un manga racontant une simple tranche de vie aborder cette thématique de manière aussi réaliste et humaine. Ici, il n’y a pas de gros drame, pas d’apitoiement, pas de revirement de situation brusque pour relancer la machine. Les protagonistes vivent lentement au rythme les uns des autres. Et s’ils doivent se rencontrer, c’est tant mieux.
Gwenaël JACQUET
« Après la pluie » T1 par Jun Mayuzuki
Édition Kana (7,45 €, 5,95 € jusqu’au 31-12-2017) – ISBN : 9782505068235