Dans le cinquième volume de ses aventures, « Le Grimoire d’Elfie T5 : Les Reflets de Walpurgis », la jeune Elfie découvre le marais poitevin (entre La Rochelle et Niort) et des festivités réservées aux magiciens et sorcières depuis le temps de la mystérieuse fée Mélusine. Une nouvelle enquête pour la jeune adolescente, avec l’apport non négligeable de son grimoire magique, à l’issue de laquelle elle en aura appris beaucoup sur les dangers contemporains qui guettent cette zone humide remarquable et sa propre famille.
Lire la suite...« Mazzeru » par Jules Stromboni
Dès la couverture, l’étrangeté du titre, l’originalité de la texture du dessin, la puissance d’un regard animal, la fuite d’une silhouette féminine, l’ambiance à l’évidence dramatique… attirent l’œil et l’attention. Qu’est-ce que ce Mazzeru ? La réponse est donnée en quatrième de couverture : « En Corse, on nomme Mazzeru l’homme ou la femme qui part chasser dans son sommeil, l’arme à la main. » Chasser quoi ou qui ?
Parlons de la Corse, précisément, omniprésente ici et fascinante. Cette Corse des villages juchés sur les contreforts montagneux, cette Corse des ruelles empierrées, cette Corse qui semble se tenir à l’écart du monde, éternelle et d’un autre temps, est bien là. Paradoxalement, cette Corse qu’on sait lumineuse, ensoleillée, est ici représentée en noir et blanc, sombre, presque froide. Au premier abord, seulement, car on s’habitue peu à peu aux lumières engendrées par ce noir et blanc griffé, strié, façon carte à gratter et, dès lors, le soleil revient. Mais Stromboni n’avait pas l’intention de réaliser une Corse touristique et alléchante. On la découvre aussi en plein hiver et même sous la neige : une Corse ancestrale, fin XIXe siècle probablement, ce que tend à indiquer une séquence ouvrière et minière.
On la découvre, surtout, empreinte de légendes et de fantastique, car un « mazzeru » ou une « mazzera » ne sont rien d’autre que des humains qui se dédoublent, des créatures de la nuit. Dr Jekyll and Mr Hyde ! Tout commence avec un enfant qui rêve ou qui cauchemarde, un gamin mal dans sa peau, solitaire, un peu sauvage et qui répète en boucle qu’il sera plus tard « un bandit ! Cruel agile et sanguinaire ! ». Ce gosse-là connaît mieux les bêtes et la forêt que ses congénères, et les chèvres dont il va vendre les fromages au village.
Parallèlement, nous rencontrons une gamine, solitaire aussi, vendant son pain. Leurs regards vont se croiser, à la fois séduits et terrifiés. On se dit que Césario et Chilina vont s’aimer et que le conte sera beau. Sûrement pas ! Le drame pointe son nez et les deux jeunes adolescents vont quasiment s’ignorer, ou plutôt vivre en parallèle. Tous les deux connaissent un environnement familial plutôt rustre, Chilina subissant même un père brutal et incestueux, ce qui provoquera sa mort, accidentelle certes ! Plutôt que de s’expliquer ou de supporter leur colère, Chilina préfère s’isoler, se faire oublier dans le maquis, loin de la société des hommes où seule la nuit peut régler des comptes sous l’œil de sculptures terrifiantes, les menhirs de Filitosa (au nord de Propriano).
Tout est regard ici. Et silences. Stromboni a fait le choix d’économiser la parole et, tant qu’à faire, d’en faire des poèmes qui scandent de temps à autre le récit, chacun des protagonistes prenant la parole pour faire le point dans ce drame villageois qui s’enfonce peu à peu dans la peur et l’horreur. La figure tutélaire du « mazzeru » est la marque d’une culture de la croyance, de la superstition, portée ici à son paroxysme : le fantastique, c’est-à-dire quand la croyance prend corps, que la bête devient homme, qu’on passe d’un monde à un autre, bref, que la prémonition se réalise.
On ressort de ce récit impressionné et fasciné. On revient admirer certaines cases et s’épouvanter de certaines scènes. On a beau s’émouvoir de ces croyances, de ces folies inhumaines, on se délecte pourtant de ces paysages ciselés et envoûtants, griffés et charbonneux, le produit d’un travail d’artisan exceptionnel. Jules Stromboni a opté pour une technique un peu mystérieuse, une « gravure sur plaque de plastique » où l’artiste a gratté « l’acétate au clou », le résultat de son labeur n’apparaissant qu’après passage à l’encre. C’est troublant et époustouflant.
Encore un point : l’auteur a découpé son histoire en chapitres, tous introduits par une planche représentant une fleur emblématique de son pays : du coquelicot à l’aconit, en passant par l’asphodèle et le daphné garou (on pense au loup, évidemment !), et ces quelques fleurs apportent des touches de couleurs qui font du bien.
Didier QUELLA-GUYOT ([L@BD-> http://9990045v.esidoc.fr/] et sur Facebook).
http://bdzoom.com/author/didierqg/
« Mazzeru » par Jules Stromboni
Éditions Casterman (29 €) – ISBN : 978-2-2030-8441-4