Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Shadows of the Grave » : Richard Corben à lire en petit format et en noir et blanc !
Richard Corben, auteur de comics américain de légende, déjà chroniqué de nombreuses fois dans ces colonnes et avec passion par Cecil McKinley, à l’occasion de ses dernières publications en France, n’en finit pas de « revenir ». Ce début d’année 2017, il nous ravit à nouveau avec un tout nouveau projet, très personnel, actuellement en parution aux USA, et bien dans l’esprit des éditions Warren.
Ce grand dessinateur/scénariste a réalisé plusieurs récits, seul ou avec des scénaristes de renom (Simon Revesltroke, Jan Strnad…), dans des styles voguant entre gore, sword and fantasy, macabre et science fiction, lorsqu’il n’a pas donné ses propres visions de licences plus connues (« Hellblazer », « Alien », « Star the Slayer », « Conan », « Hellboy »…). On retient aussi ses nombreuses adaptations d’Edgar Alan Poe.
« Shadows of the Grave » est un comics prévu sur huit numéros qu’il réalise entièrement seul, chez Dark Horse : son éditeur principal depuis une poignée d’années. Il aurait cependant pu paraître sur sa propre structure Fantagor Press, créée en 1982, tant le style s’en approche. S’il s’agissait à l’époque d’une structure indépendante où il avait choisi de publier ses récits (dans « Rip of Time », par exemple, paru chez Albin Michel sous le titre « Temps déchiré », il mêlait vieilles histoires en noir et blanc des années soixante-dix et nouvelles séries, également en noir et blanc) : c’est un peu aussi ce qu’il choisit de faire ici. Mais si le parti pris de publier en noir et blanc et en tons de gris est conservé, ce n’est pas, dans un premier temps, comme il le dit lui-même, « parce qu’il est pauvre ou qu’il a peu de moyens, mais parce que les images en tons de gris créent et expriment une unité et une ambiance spéciales qui sont davantage appropriées aux courtes histoires d’horreur, au moins celles qu’il souhaite conter » (d’après le prologue du #1).
Ensuite, on note une différence notable avec le passé : les trois mini récits indépendants qui parsèment chaque numéro, en plus de la grande histoire à suivre, sont des historiettes inédites. (1)
#1 : String along ; Roots in hell ; For better or worse ?
#2 : A muddy plot ;The thing in the swamp ; Dont steal from the dead
Si celles-ci ne révolutionnent pas le 9e art, on est en effet ici dans un synopsis basique à la EC/Warren : vieille maison dans les bois, jeune couple perdu, ambiances cimetières, causes perdues, vengeances d’outre-tombe, monstres insulaires… On est cependant immédiatement séduit par le format de ce comics « à l’ancienne », en noir et blanc, d’autant plus que le dessin de Corben opère vraiment à son plein régime dans ce registre underground et que le papier mat apporte la dernière touche vintage.
On sent d’ailleurs que l’auteur prend beaucoup de plaisir à faire comme si l’on était en 1970, et il a d’ailleurs ressorti pour l’occasion ses deux personnages « accompagnateurs/introducteurs » : Gurgy Tate (le long nez à capuche), et Old Mag the Hag, la sorcière borgne au bâton. (2) Se dire qu’il va devoir trouver matière à 24 histoires de ce type, laisse songeur, ou admirateur, c’est selon…tant on lui reconnaît le talent évident à trousser de parfaites scénettes du genre. Les amateurs en tous cas se régaleront.
Le contenu se divisant en deux parties distinctes, on pourra être alors d’avantage intéressé par le récit à suivre qui conclu le comics, et mettant en scène un nouveau héros, dans l’esprit de Den :
Nous sommes à l’époque de la Grèce antique (3). Denaeus est un homme fort, marié et papa d’une petite fille, qui souhaite plaire à son roi en participant à des épreuves de combat. Mais une vision négative d’un sorcier local va le mettre à mal aux yeux de son maître. Un marché de dupe lui est proposé : alors qu’un cyclope géant a massacré une troupe de soldats transportant de l’or royal, on lui demande d’aller à sa rencontre afin de régler l’affaire… au risque d’y rester.
Un fort relent de « Bloodstar », plus que de « Den »…, un peu de « Star Slayer » (4), et une pincée d’« Ombre » : récit d’Edgar Alan Poe déjà publiée en son temps (5), qui nous fait dire que, décidément, les liens sont ténus. L’ambiance est cependant agréable, tout comme le dessin, et l’on est impatient de voir comment ce nouveau scénario va évoluer.
Si rien ne permet à ce stade de conclure que Richard Corben va donner avec ce nouveau récit et ce nouveau héros une raison de plus de l’adorer et de le traduire en France, on peut, tout simplement, d’ores et déjà , apprécier le côté délicieusement vintage et « fait maison » de ce comics, qui, s’il faisait l’objet de… deux albums cartonnés séparés (?), perdrait malheureusement de son charme.
Un récit… à suivre donc, en VO, sur petit format, absolument !
Franck GUIGUE
« Shadows of the Grave » : mensuel de 32 pages n/b. Le #1 a paru en décembre 2016 ; 8 numéros prévus aux éditions Dark Horse.
 (1) Sans remonter tout au début des années 1970, où les histoires courtes noir et blanc gore ou SF étaient un peu le genre privilégié de l’auteur, on a déjà pu goûter à ce genre dans les années 1980 grâce à sa structure Fantagor Press et, entre autres, dans les épisodes « Horror in the Dark » (« Contes du diamant noir », publiés dans la revue Spécial USA n° 59 à 64, en 1992), même si celles-ci n’ont jamais paru en album en France. D’autres un peu similaires, mais plus SF, comme la série avortée inédite en France « Murky World » (2011), ne sont que quelques exemples d’essais de reprise par Richard Corben d’une sorte de patte Corben « à l’ancienne », qu’il a finalement réussi a faire aboutir avec « Ragemoore » en 2012. Finalement, les nouveaux lecteurs qui découvriront Corben avec les deux recueils de vieilles histoires publiés par Délirium en 2013 et 2014 ne seront pas trop surpris par ces nouveaux récits… Quoiqu’ils pourront se poser des questions temporelles.
(2) Gurgy Tate est apparu pour la première fois en 1976 dans le « Richard Corben Funny Things » (recueil de vieilles histoires parues en 1970-1973, chez Nickelodeon Press), tandis que Old Mag the Hag est plus récente. Elle a été utilisée dans les nouvelles adaptations d’Edgar Alan Poe afin de « lisser » les transitions entre chapitres (http://comicsalternative.com/interview-richard-corben/).
(3) Voir l’interview de l’auteur (en anglais) sur : Pastemagazine : https://www.pastemagazine.com/articles/2016/11/exclusive-dark-horse-preview-richard-corben-casts.html.
 (4) « Starr the Slayer : A Starr is Born » (Daniel Way/Richard Corben, Marvel, Maxx, 2010, 96 p.) est un comics adapté d’un personnage créé par Roy Thomas et Barry Windsor-Smith en 1970. Celui-ci est loin d’être le meilleur récit du dessinateur.
 (5) Dans Creepy FR #25, et dans le recueil Albin Michel « Edgar Poe », en 1984. Il s’agissait déjà d’un récit noir et blanc se déroulant dans la Grèce antique (https://fr.wikisource.org/wiki/Nouvelles_Histoires_extraordinaires/Ombre).