Dix ans après la parution de « Résurrection », la première partie d’un diptyque accouché dans la douleur, voici enfin « Révélations » : conclusion du dernier récit du regretté Philippe Tome, décédé alors qu’il travaillait sur les dernières pages de son scénario. Les éditions Dupuis proposent, enfin, l’intégralité de cette aventure magistralement dessinée par Dan Verlinden, digne successeur de ses deux prédécesseurs : Luc Warnant et Bruno Gazzotti.
Lire la suite...« La Gloire d’Héra – Tirésias : édition complète » par Christian Rossi et Serge Le Tendre
Parue en 1996 chez Casterman en un unique volume de 77 pages, « La Gloire d’Héra » constituait une fascinante relecture de la mythologie grecque qui aura connue par la suite d’étonnantes tribulations. Scindée en 2002 en deux volumes (intitulés « L’Homme le plus fort du monde » et « À Mycènes »), l’aventure fut surtout revue et corrigée pour atteindre les 96 planches. Désormais réunis chez Dargaud en un volume intégral agrémenté de nombreux dessins inédits et complété par « Tirésias » (deux volumes initialement parus en 2001 chez Casterman), les différents récits permettent de se questionner sur des thèmes éternels : que faire de l’honneur, de la sexualité, de l’amitié ou du sacrifice de soi quand les dieux de l’Olympe (notamment Héra et Zeus) se jouent cruellement des hommes ? Retour sur une saga mythique de Serge Le Tendre (« La Quête de l’oiseau du temps », « Golias ») et Christian Rossi (« Jim Cutlass », « W.E.S.T. »)…
« La Gloire d’Héra », contextualisée dans les environs de Thèbes, commence par raconter l’itinérance d’Alcée, fils de Zeus et d’Alcmène. Les férus d’histoire et de mythologie grecque savent qu’Alcide/Alcée fut l’un des premiers noms donnés au mythique héros Héraclès (par Diodore de Sicile), dont le nom signifie précisément « Gloire d’Héra ». Pour bien comprendre les arcanes du scénario concocté de mains de maître par Serge Le Tendre, il faudra encore rappeler les points suivants : désireuse de se venger des infidélités de son mari, Héra retardera l’accouchement d’Alcmène et fera naître avant terme Eurystée. Au final, Alcmène donnera naissance à deux enfants : Héraclès, fils de Zeus, et Iphiclès, fils d’Amphitryon, devenus des jumeaux… nés avec un jour d’écart ! Désireux de mettre à bas l’esclavage instauré par le roi de Mycènes (qui n’est autre qu’Eurystée), Alcée ira jusqu’à défier les troupes adverses dans un bain de sang irraisonné. Entre exploit et folie, le héros grec croisera sur sa route de redoutables épreuves (le centaure Agrios, le serpent de mer, les fourberies de Pan) qui transformeront à jamais sa quête et son identité…
En 2001, afin de relancer leur série, Le Tendre et Rossi s’accordent pour relater la jeunesse de Tirésias (décrit comme un énigmatique personnage vieux et aveugle pour ainsi dire digne d’Homère dans « La Gloire d’Héra) et la manière dont il acquiert ses dons divinatoires. Dans « L’Outrage » puis « La Révélation » (titres des deux tomes parus jadis), le beau Tirésias subissait un terrible châtiment : pour avoir voulu abuser d’une prêtresse du temple d’Athéna, l’éphèbe se voyait transformer en… une séduisante jeune femme (qu’il fera passer pour sa sœur, Thya) ! Sous sa double identité éminemment perturbatrice, le personnage devra tout autant affronter les regards lubriques que les visées amoureuses du jeune Calypto ou la vantardise malsaine du guerrier Glaucon. Optant pour une sombre relecture du genre homérique, Le Tendre et Rossi hissent leur récit vers des sommets narratifs en conférant une grande lisibilité à des planches truffées de détails et en multipliant les rebondissements notamment liés aux interventions divines.
En couvertures des deux volumes initiateurs de « La Gloire d’Héra », Rossi avait d’abord représenté en 1996 l’image archétypale du héros olympique (musculeux et paré de sa couronne d’olivier) avant d’opter en 2002 pour une vision plus bondissante, semi-parodique et super-héroïque d’Alcée (allié au centaure Argios). Amplement plus beaux et dans l’esprit du thème antique évoqué, les visuels de couvertures de « Tirésias » optaient de leurs côtés en 2001 pour une opposition entre la vie de luxure du protagoniste et la noble détresse dans laquelle il se retrouvait une fois transformé en femme. Ce à l’ombre de la charge virile et guerrière qui était celle des temps, entre des cités grecques devenues de mortelles rivales. Inspiré par des versions du mythe délivrés par les poètes Ovide (43 av. J.-C. – 18 ap. J.-C.) et Hésiode (VIIIe s. av. J.-C.), Serge Le Tendre fait de Tirésias un personnage maudit, rendu aveugle par Héra mais doté en compensation par Zeus – outre son don et serlon la légende – d’une vie longue de sept générations. Le visuel de l’édition intégrale proposée par Dargaud en 2017 reprend pour sa part deux illustrations réalisées en 2011, opposant là encore deux conceptions du monde : la perception masculine liée au personnage d’Alcée/Héraclès (teintée du moment-clé de la rencontre avec le centaure Argios) et le contrepoint féminin, magnifiée par le physique érogène de la belle et pure Thya, dont le sommeil pourra également connoter le monde des songes et – plus largement encore – de l’onirisme et du merveilleux. Entre orgueil et hybris, offense et honneur, haine et amour, « La Gloire d’Héra » et Tirésias » recomposent savamment les écrits antiques tout en revisitant de manière dynamique un genre un peu trop souvent codifié ou plastiquement jugé « raide » (cf. l’inévitable « Alix », malgré l’apport des titres plus récents dont la série dérivée « Alix Senator »). Christian Rossi, qui travaille actuellement sur un nouveau titre intitulé « Le Cœur des Amazones » (158 pages ; éditions Casterman) devrait à n’en pas douter nous éblouir graphiquement de nouveau en 2017 !
Philippe TOMBLAINE
Sur Christian Rossi, voir aussi nos « Coins du patrimoine » : Les Westerns de Christian Rossi (première partie) et Les Westerns de Christian Rossi (deuxième partie).
« La Gloire d’Héra – Tirésias : édition complète » par Christian Rossi et Serge Le Tendre
Éditions Dargaud (39,00 €) – ISBN : 978-2-205-06733-0