Apparue pour la première fois dans le mensuel Tchô ! en 2003, Lou est devenue un best-seller de l’édition, avec plus de trois millions d’albums vendus, une série d’animation, un long métrage, des traductions dans le monde entier… Un tel succès méritait bien cet ouvrage anniversaire, qui nous propose — en plus de 300 pages — de revenir sur l’histoire de l’héroïne qui a grandi avec ses lecteurs. Tout en ouvrant généreusement ses carnets de croquis, Julien Neel évoque — au cours d’un long entretien — son propre destin, lié depuis 20 ans à celui de la petite fille blonde devenue grande.
Lire la suite...« Mycroft inquisitor » : une série éphémère !
« Mycroft, le détective des confins », appelé aussi « Mycroft inquisitor », ne connut qu’une existence éphémère, puisque cette série des toutes dernières années du siècle précédent se limite à trois albums seulement : « Une fragrance de cadavre » (1995), « La Bête d’Écume » (1997) et « Neiges sanglantes » (1998), publiés par Soleil Productions, maison d’édition toulonnaise rachetée en 2011 par les éditions Delcourt. Le succès, en effet, ne fut pas au rendez-vous. Les auteurs étaient Christophe Arleston et Dominique Latil pour le scénario, Jack Manini pour le dessin, Marc Brunet, Jean-Jacques Chagnaud et Jack Manini encore, pour la couleur. Petite analyse…
Les scénaristes
Christophe Arleston (né à Aix-en-Provence en 1963) a créé plusieurs séries telles que « Les Maîtres cartographes » (1992-2002), « Lanfeust de Troy » (1994-2000) et ses suites « Lanfeust des étoiles » (2001-2008), « Lanfeust Odyssey » (depuis 2009), et autres : « Trolls de Troy », « Les Forêts d’Opale », « Les Naufragés d’Ythaq », « Sangre ». Il a également conquis un vaste public et acquis la notoriété grâce à une série policière d’esprit jeune, moderne et branchée : « Léo Loden » (24 albums parus depuis 1992, plus 2 « hors série »), avec le dessinateur Serge Carrère.
De nombreux prix l’ont récompensé, dont celui du meilleur album jeunesse au festival d’Angoulême, par deux fois (1998 et 2002). Mais il n’a pas eu la même chance avec « Mycroft ».
Dominique Latil (né en 1970) a connu des fortunes variables. Plusieurs de ses séries n’ont pas dépassé le tome 1 (« Argyll de Maracande », « Les Royaumes de Borée », « La Voie du Phénix », « La Dernière Lignée », « Skyland », « La Saga Vorkosigan »), le tome 2 (« KO », « L’Empire éternel », « Fédération », « Nemrod »), ou le tome 3 (« Mycroft inquisitor », « Les Manuscrits de sang », « Interface ») au niveau des albums. « Amazones Century » (avec le dessinateur Jean-Marc Ponce) en a connu 4 (depuis 1997), « Les Guerriers » (avec Philippe Pellet pour le dessin) 7 (depuis 1996), « Morea » (avec Arleston) 8 (depuis 2000).
Les histoires se déroulent dans un futur lointain, en un temps où les voyages interplanétaires sont banals et où les nations de la Terre, politiquement unies, et les planètes de « la galaxie » (on peut penser qu’il s’agit de la nôtre) forment une « fédération ».
Les humains ne vivent plus exclusivement sur la Terre ; ils peuplent d’autres planètes, devenues aussi évoluées qu’elle.
La fédération possède des lois communes, ses institutions judiciaires et sa police fédérale.
Mycroft, enquêteur (inquisitor) privé, est installé à Cassiopée qui, ici, ne semble pas être une constellation, mais une planète, assez développée pour abriter une université dont est diplômée Morgane, la jeune assistante du détective .
En cette ère de circulation intersidérale, les gens se déplacent beaucoup : dans « Une fragrance de cadavre », deux femmes fuient à Cassiopée ; dans « La Bête d’Écume », Gwenn et Daxin Trallwngwynd, d’origine galloise, sont installés sur une planète située à des millions de parsecs de la nôtre; dans « Neiges sanglantes », un professeur à l’université de Procyon travaille sur une autre planète très lointaine : Ottyle 3.
Mycroft lui-même ne cesse de se déplacer d’une planète à une autre pour y enquêter. Rappelons d’ailleurs le sous-titre de la série : « Le Détective des confins ».
Des enclaves archaïques en un univers dominé par la science
Ces « confins » sont quantité négligeable pour la fédération galactique. Ce sont des planètes restées sauvages, et, politiquement parlant, d’anciennes colonies auxquelles la fédération a accordé l’indépendance à condition qu’elles renoncent à toute technologie.
L’interdiction s’étend même aux produits issus de l’industrie de l’hygiène et du luxe, tels les nécessaires de toilette, les produits de beauté et les détergents modernes.
Elles sont donc peuplées de communautés humaines qui ont leurs institutions et leurs lois, vivent d’une activité agricole, artisanale et commerciale, mais ignorent l’industrie, l’automobile, le train, l’avion, le véhicule spatial, le téléphone, l’ordinateur, la télévision, le cinéma, et, sans doute aussi, l’hôpital.
Leur économie, leur mode de vie, leurs mœurs ressemblent à ceux des nations européennes à la fin du Moyen Âge ou aux XVIe et XVIIe siècles dans « Une fragrance de cadavre », ou au XXe siècle dans les deux histoires suivantes.
L’habitat varie suivant le climat de la planète.
Dans « Une fragrance de cadavre », l’action se déroule sur la planète Caprale et a pour cadre un vieux château situé sur une île et formant avec elle un paysage britannique.
Sur la planète Écume (« La Bête d’Écume »), où le climat est chaud, les gens vivent dans des paillotes.
Dans « Neiges sanglantes », où l’action se déroule sur une planète froide et enneigée, les gens semblent habiter des maisons de trappeurs et de forestiers en bois et en tôles.
En ces mondes, le temps semble s’être arrêté, au point que l’on finit par oublier que la série a pour cadre chronologique un futur très lointain.
Dans « Une fragrance de cadavre », le contexte se révèle archaïque au point que les habitants de la planète Caprale sont vêtus comme des bourgeois européens du XVIe siècle.
Entre polar et fantastique
La part de fantastique croît au fur et à mesure que l’on avance dans la série.
Elle est assez réduite dans « Une fragrance de cadavre » où elle se limite au contexte chronologique général et, au cours de l’histoire, découle surtout de l’impression produite par une décapitation, le surgissement de monstres locaux agressifs et une disparition volontaire déguisée en meurtre.
Mais elle s’affirme davantage dans « La Bête d’Écume » lorsqu’on apprend que le meurtrier a créé une substance biochimique permettant de changer de sexe.
Enfin, elle devient prépondérante dans « Neiges sanglantes », avec la découverte des vestiges d’une ancienne civilisation extraterrestre et la manifestation de la faculté d’un survivant de cette dernière de s’emparer, une fois décongelé, du corps et de l’esprit d’autres créatures, dont un membre de l’expédition terrestre.
« Une fragrance de cadavre » se présente comme un récit « conandoylesque », « La Bête d’Écume » ressemble, avec son centrage sur le changement de sexe, à « Murder by Moonlight », téléfilm américain futuriste de science-fiction (1989)(1), et « Neiges sanglantes » manque d’assez peu de nous transporter dans l’univers de « The Thing », le fameux film d’horreur de John Carpenter (1982), en lequel un extraterrestre décongelé prend possession du corps et de l’esprit des membres d’une station américaine installée sur le continent antarctique.
À cet aspect fantastique du sujet et de ses manifestations les plus surprenantes, s’ajoute celui de la faune et de la population locale : les animaux monstrueux de « Une fragrance de cadavre », les indigènes (Indoles) de « La Bête d’Écume », le professeur Ottrape savant extraterrestre (« chlorindre »), monstre anthropoïde tenant à la fois de l’oiseau et du reptile, membre de l’expédition terrestre dans « Neiges sanglantes ».
S’ajoutent également certains phénomènes naturels propres à donner une touche de merveilleux à l’histoire, comme, les grosses bulles multicolores produites dans un marécage par la fermentation d’algues dans « La Bête d’Écume ».
Tout cela tire la série du côté de la science-fiction futuriste. En revanche, l’intrigue l’ancre dans le polar traditionnel et, plus précisément, l’énigme policière. Polar traditionnel, mais pourtant moderne.
Moderne de par la psychologie des personnages, plus proche de la nôtre que de celle de l’univers de Sherlock Holmes : dans « Une fragrance de cadavre », les coupables sont deux jeunes lesbiennes, meurtrières de l’homme qui, par chantage, abusait d’elles, et veulent fuir sur une planète évoluée, où elles pourront vivre leur amour sans encourir la réprobation publique ; elles ont toute la sympathie de Morgane, qui les aide à fuir, cependant que Mycroft, indifférent à leur crime comme à leur orientation sexuelle, n’est contrarié que par les frais qu’elles lui ont valus.
Moderne également par la morale libérée des auteurs qui, le plus naturellement du monde, imaginent un amour lesbien et nous montrent un coït entre Morgane et un amant de passage. Moderne enfin par la nature même du coupable dans « Neiges sanglantes », qui se révèle être un extraterrestre.
L’ambiance « conandoylesque » caractéristique de « Une fragrance de cadavre » disparaît à peu près dans les deux albums suivants, mais il en subsiste tout de même quelque chose par le simple fait que le héros continue d’en être Mycroft, qui porte le nom d’un personnage de Conan Doyle et ressemble beaucoup à Sherlock Holmes, au physique et par ses facultés de déduction.
Mycroft : un personnage troublant
Ce personnage de Mycroft suscite le trouble et la perplexité. Mycroft Holmes est, dans les romans de Conan Doyle, le frère aîné de Sherlock Holmes, auquel il ressemble par l’intelligence et les aptitudes déductives, mais dont il diffère par le physique, la tenue vestimentaire, le caractère et l’activité professionnelle ; il se montre d’un naturel indolent, voire paresseux, entretient le mystère sur lui, passe une grande partie de son temps à son club, et occupe auprès du cabinet britannique une fonction qui se révèle elle aussi mystérieuse.
Or, le Mycroft de notre série, lui, ressemble à s’y méprendre à Sherlock Holmes, encore qu’il n’en porte pas le nom. On ne sait d’ailleurs si Mycroft est son nom de famille ou son prénom ; il se présente comme Mycroft d’Aquilée, sans que l’on puisse savoir s’il indique par là sa ville natale (ou de résidence) ou son patronyme. Il est longiligne, mince de visage, porte une coiffure ressemblant à la casquette à double visière du célèbre détective anglais dont il a par ailleurs la prodigieuse intelligence, le flegme, le côté fantasque et le froid humour britannique.
Son costume, toutefois, est, plutôt futuriste, comme il sied au personnage d’un avenir très lointain.
Cependant, il conserve quelques réminiscences des vêtements de la Grande-Bretagne des XIXe et XXe siècles : la partie inférieure (au niveau des cuisses et du haut des jambes) de son vêtement couvrant évoque la jupe du kilt, d’autant plus qu’y est accrochée une sorte de grosse bourse ronde analogue au sporran de cette tenue écossaise.
Enfin, il porte des bottes étranges.
De même que Sherlock Holmes fume la pipe, Mycroft fume un curieux narguilé portatif dont on n’est d’ailleurs pas sûr qu’il serve à consommer du tabac (nous sommes en un futur éloigné).
Au moral, il se révèle sans cœur, cynique et cupide.
À la différence de Sherlock Holmes, détective amateur qui enquête par passion, il est un professionnel travaillant uniquement pour l’argent.
Il fait payer très cher ses services (du coup réservés à une clientèle fortunée), n’admet pas de perdre de l’argent, se montre près de ses sous, et se fait rembourser ses créances en usant, à l’occasion, de pressions mesquines, voire en monnayant son silence.
La satisfaction de ses intérêts semble lui tenir lieu de morale. Il ne se soucie guère de sa renommée, et affirme clairement qu’il ne travaille pas pour la gloire. Et donc, logiquement, il n’a cure de la gloire des autres : dans « Neiges sanglantes », il entend effectuer son travail de détective sans égard pour les recherches archéologiques des savants, auxquels il ne témoigne pas la moindre considération.
Cette amoralité, cet égoïsme et cette sécheresse de cœur le distinguent nettement de Sherlock Holmes. Peu lui importent l’état d’esprit, les mobiles et le degré de culpabilité et de moralité ou d’immoralité des criminels qu’il démasque : il les met hors d’état de nuire parce que ce sont son métier et son intérêt qui l’exigent. Et, de fait, les notions de bien et de mal sont absentes de la série, alors qu’elles sont présentes dans les romans de Conan Doyle.
Il n’est d’ailleurs pas certain qu’il faille absolument voir dans ce Mycroft une imitation approximative de Sherlock Holmes, malgré la ressemblance des deux personnages. En effet, Mycroft conclut ses enquêtes par de grandes réunions de tous les personnages, au cours desquelles il dévoile la clef de l’énigme et le nom du coupable ; en cela, il ressemble à Hercule Poirot et non à Holmes .
Mycroft ne semble trouver de sens à la vie que dans la poursuite de son intérêt matériel ; quant à son rapport au métier de détective, il est particulier : certes, il est merveilleusement doué, mais il ne paraît pourtant pas aimer à proprement parler son activité. Mycroft se caractérise par un déficit de passion qui affecte aussi bien sa vie sociale que sa vie privée. Il est misanthrope, et donc le sentiment n’a pas de place chez lui. Ni la détresse d’une mère ni les manifestations de tendresse de son assistante ne l’émeuvent. Lorsque la première le presse de partir sans tarder à la recherche de son fils disparu dont elle redoute la mort, il lui rétorque froidement qu’il se mettra au travail dès qu’elle lui aura versé une forte provision. Lorsque la seconde se laisse aller à un débordement affectueux à son égard, il la prie de se reprendre.
Un duo quelque peu ambigu
Les rapports avec son assistante, Morgane, sont ambigus. Cette ravissante jeune femme tout juste sortie de l’Université travaille comme stagiaire auprès de Mycroft. Elle se montre assez déconcertée et amusée par le côté démodé, désuet et fantasque de son patron, et quelque peu choquée par son cynisme.
Cependant, elle reconnaît ses immenses qualités professionnelles – sans toutefois béer d’admiration – et s’efforce de se hisser à sa hauteur, de se montrer digne de la confiance qu’il lui témoigne. Elle est également la narratrice des histoires qu’elle a vécues. Mycroft, lui, la taquine gentiment et pointe sans désobligeance ses défauts de jeune débutante.
Les deux personnages sont séparés par une différence d’âge qui réduit les possibilités d’intimité entre eux. Morgane estime beaucoup son patron, mais ne semble pas susceptible de l’admirer jusqu’à en tomber amoureuse. Et lorsque Mycroft, s’exprimant mal, lui propose de « coucher » avec lui, elle se récrie. Toutefois, dans « Neiges sanglantes », elle se livre à une manifestation de tendresse qui peut s’expliquer par la peur qu’elle a eue de voir son patron mourir, mais qui ressemble à un transport amoureux.
De son côté, Mycroft ne semble guère désirer sa stagiaire. Il se reconnaît trop vieux pour cela, ne manifeste aucune jalousie, et, lorsque Morgane s’abandonne à sa bouffée d’affection équivoque, il ne cherche pas à en profiter. Il ne connaît donc pas le démon de midi (ou de minuit) et n’a rien d’un vieillard graveleux ou d’un prédateur. Il se montre pourtant, à l’occasion, sensible à l’attirance sexuelle dégagée par son assistante, et il s’agit là d’une de ses rares manifestations de faiblesse.
Peut-être en raison de son extrême brièveté, la série ne comporte pas de personnages secondaires récurrents. Elle est ainsi très étroitement resserrée autour du duo Mycroft/Morgane. En cela, elle s’apparente plus aux séries littéraires policières de la Grande-Bretagne de la première moitié du XXe siècle, où les duos sont fréquents (Holmes et Watson, Poirot et Hastings) qu’aux séries de bandes dessinées, caractérisées, le plus souvent, par un certain nombre de personnages récurrents en dehors du (ou des) héros permanents.
Rôle essentiel du dessin et de la couleur
Et pourtant, elle est bien une série de bandes dessinées relevant pour une large part du registre fantastique et en laquelle, pour cette raison même, le dessin et la couleur jouent un rôle indispensable. Et, de ce fait, le dessinateur Jack Manini (né en 1960) et les coloristes Jean-Jacques Chagnaud et Marc Brunet ont joué un rôle absolument essentiel. On pourrait presque dire que dans cette série, le dessin et la couleur l’emportent sur le scénario.
Celui-ci a, certes, sa qualité, mais il n’est pas foncièrement original dans la mesure même où il emprunte beaucoup au roman policier britannique. Surtout, il ne donnerait rien sans le formidable travail de dessin et de coloriage déployé dans cette série. En jouant sur les nuances et les dégradés progressifs délicats et subtils, les coloristes créent une ambiance poétique qui nimbe les histoires, et dont la beauté est particulièrement mise en valeur par le choix du papier glacé comme support matériel. Dessinateur et coloristes s’entendent à créer une atmosphère et un environnement naturel propre à chaque aventure. « Une fragrance de cadavre » semble se dérouler sur un îlot britannique, « La Bête d’Écume » a pour cadre un monde tropical habité par des indigènes et des colons, la planète de « Neiges sanglantes » ressemble au Grand Nord canadien ou lapon, et cette impression est renforcée par la forte présence d’un vigoureux trappeur se tenant à distance de la civilisation. Et, toujours, le travail du dessinateur et des coloristes donne à l’histoire, pourtant articulée sur une intrigue policière classique, l’aspect d’un conte.
Combinant harmonieusement des registres aussi divers que l’heroic-fantasy, le space opera, la science-fiction, le fantastique et le polar, Mycroft pourrait presque faire figure de genre nouveau à lui tout seul. Sa disparition prématurée n’en est que plus regrettable.
Yves MOREL