Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
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Dans leur toujours intéressante collection Erotix (dirigée par Vincent Bernière), les éditions Delcourt proposent un bel album cartonné de presque deux cent cinquante pages : l’intégrale des histoires courtes réalisées par l’artiste italien Roberto Baldazzini pour différentes publications – Glamour, Terrazzo, « Ombre d’amore », « Key’s Souvenir », « Risvegli » (1), Blue, Selen, Pep erotico ou mêmes Pilote et BeauxArts hors-série — depuis le milieu des années 1980. Ce recueil fourmille de documents rares, dont de nombreux récits inédits en français, dus à ce remarquable dessinateur érotique qui a su transcender quelques thèmes brûlants (comme le fétichisme, la transsexualité, le bondage ou le sadomasochisme) avec élégance, en utilisant une ligne claire canonique qui n’appartient qu’à lui.
Roberto Baldazzini, né le 18 août 1958 (à Vignola, dans la province italienne de Modena) est considéré comme l’un des maîtres de la bande dessinée érotique mondiale, grâce à son style esthétiquement rassurant et ses héroïnes aux formes délicieusement arrondies : ses scénarios croustillants multipliant les allusions à la domination.
Après avoir obtenu un diplôme d’expert en commerce, il suit plusieurs cours d’art en Italie et, en 1980, il cofonde, avec Daniele Brolli et Igort, le fanzine Il Pinguino, pour lequel il dessine les aventures de Ronnie Fumoso, en se basant sur les écrits de Brolli.
Son premier travail professionnel consiste en la série « Alan Hassad », toujours avec son ami Brolli. Les enquêtes de cet investigateur privé sont publiées dans huit numéros du magazine italien Orient Express, édité par L’Isola Travata, en 1982. Deux ans plus tard, ces quarante-quatre pages sont traduites en français, chez les Humanoïdes associés, dans un album intitulé « Un jour seulement », au sein de leur collection brochée Sang pour sang.
Le style de Baldazzini, tout de suite reconnaissable, se réfère alors à des artistes de bandes dessinées classiques américaines tels que Wilson McCoy (« The Phantom »), Alex Raymond (« Flash Gordon », « Jungle Jim » et « Rip Kirby ») ou Al Capp (« Li’l Abner »), tandis que sa déformation stylisée, qui le conduit parfois au grotesque, rappelle plutôt Chester Gould (« Dick Tracy »). Notons qu’à la même époque on peut remarquer une certaine parenté avec des auteurs comme Serge Clerc, Charles Burns ou Daniel Torres qui ont, alors, la même démarche.
La fusion cohérente de ces influences se peaufine dans ses autres créations pour Orient Expressque ça soit dans « Martin Trevor » (sur des textes de Vandelli, en 1983) ou dans « Stella Noris » (en collaboration avec la scénariste Lorena Canossa, en 1984).
Après la disparition d’Orient Express (en 1986), cette bande dessinée mettant en scène les intrigues sentimentales et policières d’une jeune starlette du cinéma de l’après-guerre continuera, jusqu’en 1992, dans le magazine Comic Art.
Si les premiers épisodes sont assez classiques, les suivants font peu à peu place à des histoires plus érotiques.
Alors que, dans le même temps, Baldazzini travaille aussi dans le domaine de la publicité (il a notamment réalisé des campagnes pour ERG, AXE, Salvarani et TIM), cette nouvelle orientation lui permet d’être publié dans le magazine Glamour où Stella vit des aventures beaucoup plus chaudes.
En France, seul un épisode a été proposé par les éditions Albin Michel en 1989, sous le titre « Ouragan ».
Son graphisme qui joue habilement avec le noir et le blanc et son talent pour dépeindre les femmes sensuelles en fait un invité régulier de plusieurs autres magazines érotiques internationaux, tels que Terrazzo, Diva, Plot, Phoenix, Penthouse Comix ou Selen.
L’éditeur italien Granata Press compile ses différentes histoires courtes écrites par Lorena Canossa dans les albums « Ombre d’Amore » et « 31-12-1999 », en 1990.
Chez le même éditeur, Baldazzini propose aussi une biographie de Jim Morrisson (« Jim », un scénario de Pino Cacucci en 1991) ou encore « Streghe e santarelline » (1991) et « Fixtown Hard Female Bondage Club » (1993) : recueils de ses dessins représentant surtout de jolies femmes dans des tenues sensuelles où domine le cuir.
À partir de 1995, il commence surtout une fructueuse coopération avec le magazine Blue, se concentrant toujours sur la bande dessinée libertine et polissonne et mettant en vedette de nouveaux personnages comme Chiara Rosenberg où les fantasmes les plus étranges ont droit de cité.
Un premier album proposant cette héroïne — dont les aventures délurées sont écrites par Celestino Pes — est traduit en français (par Jean-Paul Jennequin) chez Dynamite, en 2003.
Une édition définitive, mise en couleur, entièrement remastérisée et agrémentée d’une histoire inédite en seize pages sera ensuite mise au catalogue de chez Delcourt, dans la collection Erotix, en 2010.
Dans le n° 62 du mensuel sur la bande dessinée BoDoï (daté d’avril 2003), l’expert en ce domaine qu’est Bernard Joubert interviewait notre dessinateur suggestif en lui rappelant que la série « Chiara Rosenberg » était nettement plus ancrée dans la réalité :
« Avec cet album, j’ai pu exprimer une autre facette de mon imaginaire érotique : la femme dominatrice. Chiara connaît une sorte de dédoublement de sa personnalité. Sexuellement, elle est tour à tour soumise à son mari et dominatrice avec son amant… Quand Celestino Pes m’a fait lire son synopsis, je me suis reconnu à cent pour cent dans le rôle des deux hommes. »
Joubert relançant en précisant que le fétichisme du pied est omniprésent dans « Chiara », l’artiste lui répond alors que « l’amant est ensorcelé par les pieds de l’héroïne et se soumet à eux. Ce qui prédomine dans cette histoire, c’est l’exhibition des jambes de Chiara lors de divers rites pervers et fétichistes. Le pied est la partie du corps des femmes la plus difficile à conquérir. On croit que c’est leur sexe la partie la plus intime, mais moi je dis que ce sont leurs pieds : ces extrémités cachées qui sont le joyau des sens. »
Roberto Baldazzini expose alors régulièrement à la Mondo Bizzarro Gallery de Rome et voit aussi ses albums sortir aux États-Unis, chez l’éditeur NBM, alors que son travail se fait aussi de mieux en mieux connaître en France.
Par exemple, le n° 10 de BD Penthouse, daté de juillet 1996, contient huit pages issues d’« Ombre d’Amore » : titre alors mal traduit par « L’Ombre d’amour ».
Pour l’anecdote, sachez que ce récit – donc différent d’« Ombres d’amour » proposé dans « Bizarreries » — est intitulé « Macao » dans la version d’origine.
Ce magazine édité par Penthouse International proposera aussi deux histoires en quatre pages de « Maîtresses et servantes » (scénario de Canossa) dans son ultime parution : le n° 22 du deuxième trimestre 1998.
Baldazzini publie ensuite chez Kappa Edizioni où il travaille avec Elena La Spisa — alias Aspia Ellenis — sur « Sweet Susy » (1998).
Ce même éditeur lui permettra de collaborer à nouveau avec son complice scénariste Celestino Pes sur « Ines la ragazza pneumatica » en 2002 et de rééditer « Trans/Est » en 2007.
Cet album scénarisé par son ami Daniele Brolli avait déjà été édité en 1994 chez Phoenix, une partie étant même parue dans la revue Tempi supplementari, dès 1984.
Dans nos contrées, l’ouvrage a été traduit chez Serious publishing, en 2016.
On le retrouve surtout dans le magazine Geisha avec des personnages comme Ginger & Rogers (certains épisodes sont traduits dans l’album « La Forteresse de la douleur » aux éditions françaises Geisha, en 2000) ou Angela : l’héroïne de la « Casa HowHard », série créée en 1996.
Un premier album est mis en vente chez Geisha Éditions en 2000 (reprise de six épisodes parus précédemment dans les revues Geisha et Pamela), avant que l’intégralité en trois albums — « Casa HowHard 1 + 2 », « Casa HowHard 3 + 4 » et « Casa HowHard 5 » — soit proposée chez Dynamite, entre 2007 et 2012.
Il s’agit d’anecdotes sur les aventures sexuelles qui ont lieu dans un appartement rempli de transsexuels : dans une chronique que l’on trouve en ligne chez notre confrère et ami sceneario.com, François Boudet nous explique que « l’une des particularités des personnages créés par Baldazzini, et particulièrement dans “Casa HowHard”, est qu’ils sont de genre indéfini… Ils sont femmes, mais hommes également, ou inversement… En gros, il s’agit de femmes dotées d’un pénis. »
Toutefois, le travail de notre dessinateur, loin de la pornographie commerciale, a tout de même été porté aux nues par des célébrités du médium comme Moebius (lequel suggère que les personnages de Baldazzini présentent une « innocence sans culpabilité » qui crée un sentiment d’amusement plutôt que de débauche) ou l’ineffable Jean-Pierre Dionnet.
D’ailleurs, l’invité de ce « Coin du patrimoine » va collaborer avec ce dernier, sur le deuxième tome de l’uchronie « Des dieux et des hommes » que Dionnet scénarise chez Dargaud : « Entre chiens et loups », publié en 2011.
C’est aussi Bernard Joubert, officiant alors chez Dynamite, qui traduit plusieurs autres ouvrages pour un public averti de Baldazzini, lesquels entrent au catalogue de cet éditeur spécialisé : « Senza famiglia » (« Sans famille », en 2005, repris sous le titre « Aura l’orpheline » chez Delcourt, en 2013, dans la collection Erotix)
et les trois volumes de « Beba », avatars d’une transsexuelle nymphomane ayant subi une opération de changement de sexe publiés en Italie dès 2006 (« Les 110 pipes » en 2004, « Red Domina » en 2010, « Lady Brown » en 2014).
Hors érotisme, il publie en 2013, chez The Box Edizioni, « L’Inverno di Diego » (« L’Hiver de Diego ») : un roman graphique historique de quatre-vingts pages qui lui tient particulièrement à cœur, car il a pour sujet les Partigiani (Résistants) de sa région, en 1943, en lutte contre les fascistes.
D’autre part, Roberto Baldazzini, qui reçoit plusieurs prix en Italie pour son travail en bande dessinée (notamment ceux du meilleur dessinateur italien au Festival de Lucca en 1998 et du meilleur illustrateur à l’Expocartoon de Rome en 2001), élargit ses expériences artistiques en s’essayant à la peinture, à l’art numérique ou à la photographie.
Il a d’ailleurs réalisé plusieurs expositions personnelles en Italie, en France et aux États-Unis.
Baldazzini est donc un artiste qui n’arrête pas d’exprimer sa créativité dans différents secteurs, y contribuant à chaque fois par l’esprit novateur de son style personnel.
Outre des recueils de ses dessins et de ses photos en italien et en anglais sur le thème du bondage (2), on peut aussi retrouver ses personnages transsexuels et ses pinups dans de courtes histoires publiées par des magazines comme Pep erotico (« L’Anneau de Gesireh », scénario d’Aspia Ellenis, dans le n° 2 de 2000), Pilote (« Soul Latex », dans le hors-série 2010) ou BeauxArts hors-série (« La Professeur », scénario d’Enrico Munerato, en 2016) : ces dernières sont d’ailleurs toutes compilées dans ce très recommandable « Bizarreries » de la collection Erotix !
Mille mercis à Bernard Joubert (3) et à Roberto Baldazzini, lui-même, qui ont pris sur leur temps précieux pour corriger et compléter nos écrits d’origine.
(1) Le one-shot « Risvegli » (publié en Italie chez Phoenix, en 1994) se présente dans un format comic book et il existe aussi deux autres recueils ayant la même apparence : « Baldazzini’s Fantasies » (Phoenix, 1995) et « Who Killed Bettie ? » (Lennoxx, 1998).
(2) Citons « Le Fate di Baldazzini » — « Les Fées de Baldazzini » — chez Mondo Bizzarro Press et « Percorsi » — « Parcours » — chez Edizioni il Penny (deux catalogues d’exposition parus en 2000, le second, comportant cent cinquante pages, retraçant sa carrière), les deux tomes de « Bondage Feet Wrestling Fetish » chez Glittering Images edizioni en 2001 et 2002 et « Mondo Erotika : The Art of Baldazzini » annoncé chez Korero Press en 2017. En compagnie de son confrère Franco Saudelli, il a également publié deux livres composés de dessins, bandes dessinées et photos chez Glittering, en 2000 et 2002 : « Baldazzini & Saudelli’s bizarreries » tomes 1 et 2.
(3) Bernard Joubert nous a signalé, entre autres, que des rééditions d’une partie de l’œuvre de Roberto Baldazzini, ont été proposées l’année dernière, dans une collection regroupant les maîtres de la bande dessinée érotique chez… Panini ! En plus, on achetait ces albums en supplément du grand quotidien sportif Il Corriere dello sport : étonnant, non ?
superbe dessin vraiment original !