Depuis 2021, chaque année, Tiburce Oger rassemble une belle équipe de dessinateurs et dessinatrices pour évoquer l’Ouest américain à travers des personnages authentiques – le Far West, donc – et l’exploitation de ces territoires par des individus qui oubliaient, bien souvent, qu’ils n’étaient que des colonisateurs assoiffés de richesses…
Lire la suite...« Fog : intégrale » T1 par Cyril Bonin et Roger Seiter
Parus entre 1999 et 2002, les huit épisodes de la série « Fog », formée de diptyques, marquaient les débuts d’un dessinateur qui fait son chemin depuis (avec « Amorostasia » ou « The time before », par exemple, ou « La Délicatesse », tout récent, adapté de David Foenkinos) et qui travailla alors dans un registre plutôt fantastique qu’il n’a pas vraiment quitté. À l’époque, ce sont les scénarios documentés de Roger Seiter qui lui servent — brillamment — de tremplin. Ce que prouve le premier des deux tomes prévus de cette intégrale commentée en préface par les auteurs : ce qui ne gâte rien.
La série commence de façon très « historique », en 1874, à St Magnus Bay, dans les Shetlands. L’archéologue Thomas Launceston y procède à la fouille d’une tombe viking : celle d’un pillard sanguinaire et sorcier. Ceci suscite l’opposition des habitants crédules et superstitieux qui pensent qu’elle est maudite. Launceston découvre, sous le tumulus, deux guerriers en parfait état de conservation entourés d’armes et de trésor. Quelques semaines plus tard, à Londres, des personnes sont tuées à la hache par deux hommes affublés d’un costume viking. Ces meurtres laissent circonspects deux policiers de Scotland Yard : Andrew Molton et son jeune collègue, Julian Harwood, que la vie, jusqu’à présent, n’a pas gâté.
Avec l’assassinat de Thomas Launceston tué d’une flèche (d’origine navajo !) en plein cœur, tout se complique. La fille de l’archéologue, Mary, épaulée par un journaliste, Ruppert Graves, conduit sa propre enquête en parallèle. Leurs conclusions ne sont pas les mêmes que celles de la police. Tandis qu’Harwood, l’inspecteur de Scotland Yard, piétine, Mary Launceston, avec l’aide du journaliste, découvre que tous les meurtres ont un lien et que les assassinés ont quelque chose de commun à se reprocher…
Les auteurs veillent à représenter la diversité de la société : des ouvriers, des bourgeois, des marins, des prostituées… pour montrer que les inégalités sociales dans cette Angleterre de la fin du XIXe siècle engendrent une violence accentuée ici par la vengeance. Ce récit captivant est d’abord un récit victorien, en ce sens que Seiter souhaitait précisément mettre en scène la société anglaise de la fin du XIXe siècle et c’est pourquoi l’intégrale est précédée d’une intéressante préface sur « Le Royaume-Uni au temps de Fog » : c’est à dire sur le très long règne de la Reine Victoria, son empire colonial et sur la condition de la femme incroyablement infantilisée. Seiter justifie ainsi le choix d’une héroïne indépendante et atypique, tout en précisant ses influences littéraires ; notamment celle de l’auteur féministe Wilkie Collins que le scénariste fait apparaître plusieurs fois dans sa série (Lewis Caroll n’y échappe pas non plus).
Reste que le premier diptyque (« Le Tumulus » et « Le Destin de Jane ») est faussement fantastique et que les auteurs choisirent pour le second volet une intrigue nettement plus surnaturelle avec « Le Mangeur d’âmes » suivi des « Sables du temps », le tout complété, ici, de la novélisation inédite d’une partie de l’histoire. L’Angleterre victorienne s’ouvre alors sur la culture navajo. En effet, alors que la séquence inaugurale se situe en 1860, en Arizona, on se retrouve très vite à Londres, en 1874, à cette époque au goût très prononcé pour le spiritisme, le paranormal, l’occulte et la folie à travers le métier d’aliéniste…
Cyril Bonin, dans la préface, raconte à son tour ses débuts, sa recherche d’un trait « acéré » et d’une mise en couleurs « tournée vers l’ambiance ». Très vite, son graphisme mûri, se « radicalise » comme il dit à la recherche d’un « trait plus anguleux » et de « personnages volontairement émaciés ». Il parvient indiscutablement à ses fins, créant une atmosphère pesante, inquiétante, avec ses ombres et son brouillard (« fog » !), réels et métaphoriques, parfaitement adaptés à ce récit très noir et haletant.
Cette réédition est donc une très belle initiative des éditions du Long Bec qui décidément proposent de fort belles intégrales (voir la chronique consacrée à Palacios et son « Manos Kelly »). Ils ont, par ailleurs, réédité récemment les étonnants « Cercles de lumière », signés Makyo et Laval, où Gabrielle Flye fait partie d’un groupe d’étude qui a mis en évidence des données mathématiques capitales sur le phénomène des « crop circles ». Ce récit, dont le premier tome parut sous le titre « Cercles de mystère », chez Delcourt en 2012, est ici complété d’une importante fin inédite et accompagné d’une préface de 14 pages éclairante sur les « Cercles de culture », autrement dit ces dessins géométriques tracés dans des champs de céréales un peu partout dans le monde. Réalisations extra-terrestres ou canulars ? C’est l’occasion d’y réfléchir.
Sans oublier, toujours au Long Bec, le deuxième tome de l’excellent « Trou de mémoire », paru mi-octobre, dont nous avions vanté les qualités du tome 1,ici même.
Didier QUELLA-GUYOTÂ ([L@BD-> http://9990045v.esidoc.fr/] et sur Facebook).
http://bdzoom.com/author/didierqg/
« Fog : intégrale » T1 par Cyril Bonin et Roger Seiter
Éditions du Long Bec (34, 50 €) – ISBN : 979-1-0924-9941-1