Depuis 2021, chaque année, Tiburce Oger rassemble une belle équipe de dessinateurs et dessinatrices pour évoquer l’Ouest américain à travers des personnages authentiques – le Far West, donc – et l’exploitation de ces territoires par des individus qui oubliaient, bien souvent, qu’ils n’étaient que des colonisateurs assoiffés de richesses…
Lire la suite...« Dead Dead Demon’s Dededededestruction » T1 par Inio Asano
Inio Asano revient pour notre plus grand plaisir. L’auteur de « Bonne nuit Pun-Pun » et de « La Fille de la plage » nous balade toujours dans son univers mélancolique, laissant le lecteur face à une réalité crue touchante. Ce nouveau titre au nom imprononçable ne fait pas exception à la règle. C’est une histoire de science-fiction, mais c’est surtout une histoire humaine.
Depuis trois ans, un vaisseau spatial est apparu dans le ciel de Tokyo. De temps en temps, de plus petits vaisseaux sont expulsés de ce mastodonte qui assombrit la capitale nippone. À chaque fois, les forces d’autodéfense détruisent sans difficulté ces petits astronefs qui, à ce jour, n’ont fait aucune victime depuis l’arrivée du vaisseau-mère. Pourquoi ce bâtiment est-il là, qu’elles sont les intentions de ses occupants forcément venues d’un autre monde ? Nul ne le sait, mais la population locale vit avec. Oran et Kadode sont deux jeunes filles bien banales. Elles sont au début de leur adolescence et se posent encore beaucoup de questions. Elles n’attendent pas vraiment de réponse et se contentent de vivre dans leur bulle, là où les adultes n’entrent pas.
Le jour où l’OVNI est apparu, Oran jouait à un jeu de combat dans le salon de ses parents. Son père est arrivé et lui a annoncé que c’était la guerre, « pour de vrai », qui se préparait. Puis il est parti au bureau pour ne jamais revenir. Ce jour-là, de nombreuses victimes ont disparu, le Japon a dû se résoudre à demander l’aide des USA, une grave crise politique s’en est suivi, puis plus rien. Ce fut l’attente, la population tokyoïte vit désormais avec cette épée de Damoclès au-dessus d’eux, sans vraiment y prêter attention. Mais cela n’empêche pas de se poser des questions.
Bien sûr, lorsque l’on connaît l’œuvre d’Asano, on comprend vite que le sujet n’est pas vraiment ce vaisseau arrivé sans crier gare. Les humains sont une nouvelle fois au centre de cette ouvrage. Comment vivre après une telle catastrophe ? Peut-on accepter les privations instaurées par un gouvernement dépassé par les événements ? Est-il possible d’avoir un avenir lorsqu’une menace aussi grande peut chambouler votre quotidien sans que vous ne vous en rendiez compte ? Y a-t-il un espoir pour l’humanité tout simplement ?
Cela ne vous rappelle rien ? En 2011, le Japon a subi la pire catastrophe de son histoire : la destruction de la centrale nucléaire de Fukushima suite à un raz de marée géant. Pour ce pays, qui a déjà encaissé deux bombes atomiques, c’était une épreuve supplémentaire. Certains Japonais envisageaient même de devoir quitter leur pays devenu insalubre, en quelques secondes. Pourtant, le peuple japonais a tenu bon, même lorsque les politiques ont menti à longueur de déclaration et que certains ouvriers ont été sciemment sacrifiés ! Finalement, ce fut une période d’attente et d’incertitude où rien n’a réellement évolué. C’est ce qui se passe aujourd’hui dans la vie de ces deux jeunes filles : la menace n’est pas nucléaire, mais c’est tout comme ; le manque d’information, l’inertie du gouvernement, tout est là.
Ce récit, très actuel dans son approche de la société, met les humains face à leur responsabilité. On ne peut pas, ne pas se poser de questions, face a cette histoire. Le trait et les mises en situation, hyper réaliste de l’auteur, renforcent ce sentiment de vécu. Même si dans la vraie vie, aucun appareil n’assombrit le ciel de Tokyo, on ne peut s’empêcher de replacer cet événement dans le contexte incertain de notre époque.
Comme toujours, Inio Asano livre une œuvre mature dans un univers enfantin. Les premières pages ne trompent pas, les aventures d’Isobeyan Sensei sont une parodie du plus célèbre chat de l’espace japonais : « Doraemon ». Le félin étant ici remplacé par un champignon. Ce manga éducatif est le favori des jeunes enfants japonais, tout comme cette copie est le préféré de l’héroïne. Malheureusement, ce classique reste méconnu du public français qui ne comprendra pas forcément le parallèle entre cette mise en abîme et cette histoire de science-fiction.
Mangaka subtil, Inio Asano nous surprend encore avec « Dead Dead Demon’s Dededededestruction ». Comme toujours, le lecteur est amené à se questionner sur sa perception de la vie et sur la futilité de ses actions. Tout cela reste bien humain et c’est ce côté réaliste qui est touchant. Jusqu’où cette histoire va-t-elle nous amener, tel est la question ?
Gwenaël JACQUET
« Dead Dead Demon’s Dededededestruction » T1 par Inio Asano
Éditions Kana (7,45 €) – ISBN : 978-2505065494