Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
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Le décès de Pierre Tchernia a provoqué bien des commentaires tous liés au cinéma et à la télévision, parfois à son rôle de figurant dans les albums des aventures d’Astérix de ses amis René Goscinny et Albert Uderzo. Nous voudrions y ajouter sa passion pour la bande dessinée…
En 1969, alors coorganisateur de la première convention de la bande dessinée à Paris, j’ai eu l’idée un peu folle de demander à Pierre Tchernia de nous honorer de sa présence. À l’époque, il était une star du petit écran, moi un total inconnu qui venait de rejoindre l’équipe de Claude Moliterni avec, pour seul bagage, sa passion pour la BD. Comme il était abonné à Phénix, le magazine sur la bande dessinée animé par Claude Moliterni et son équipe, nous avions son adresse.
Crânement, je me suis rendu rue des Ternes à Paris où il résidait. J’ai été reçu gentiment par sa femme qui m’a aussitôt mis en présence de son illustre mari. Il adorait Phénix, soutenait nos efforts en faveur de la bande dessinée : cette BD dont il m’a longuement parlé. Bien sûr, il était nostalgique des revues d’avant-guerre, adorait « Les Pieds nickelés », les premiers Disney, mais était aussi un fervent lecteur de Pilote. Ami de René Goscinny, il allait adapter quatre aventures d’Astérix pour l’animation (dont « Astérix et Cléopâtre ») et quelques « Lucky Luke », sans oublier réaliser « Le Viager », une idée soufflée par Goscinny, alors que les deux hommes se rendaient à Bruxelles par le train.
Il cosigna aussi (peu de gens le savent !) avec Robert Beauvais, sous le pseudonyme de Bauvant, le scénario d’une aventure de Bécassine dessinée par Jen Trubert en 1962 : « Bécassine mène l’enquête » aux éditions Gautier-Languereau.
Ce samedi d’avril, son emploi de temps étant compliqué : il m’a pourtant promis de faire un tour rue Hubert de Laparrent où devait se dérouler cette première Convention dédiée à la BD. Ceux qui y ont participé s’en souviennent : non seulement il est venu en toute simplicité, mais il a passé une grande partie de la journée à papoter avec ces fans de la première heure qui se sont pressés dans les locaux de l’école privée dont nous avions loué l’espace pour un prix modeste. Merci encore monsieur Tchernia !
Je l’ai retrouvé bien plus tard, à Angoulême, alors que de bon matin je visitais l’exposition consacrée à René Goscinny. Il était là , seul, sans la moindre escorte officielle, venu découvrir dans le calme l’exposition consacrée à son vieil ami disparu. Il m’a reconnu, m’a invité à partager avec lui cette visite hors du temps. Je me souviens de son émotion à la vue de la vieille machine à écrire du père d’Astérix posée sur une table…
Je tenais à vous faire partager le souvenir de ces deux rencontres improbables entre un modeste défenseur de la BD et l’Ami public numéro 1 qui avait su rester chaleureux et modeste. Pour moi, c’est de l’ami de la bande dessinée dont je me souviens aujourd’hui avec émotion.
Henri FILIPPINI