« Haytham : une jeunesse syrienne » par Kyungeun Park et Nicolas Hénin

Alors qu’Alep est actuellement sous le feu des troupes russes et de celles des Bachar Al-Assad, cet album est l’occasion de refaire un peu l’histoire, plus exactement de retrouver quelques étapes du conflit syrien, ses enjeux, ses impasses… à travers l’histoire vraie d’Haytham Al-Aswad, fils d’un des leaders de la contestation, et qui a collaboré activement à cet album scénarisé par Nicolas Hénin : spécialiste reconnu du Moyen-Orient et des « printemps arabes », otage en Syrie de juin 2013 à avril 2014…

Il faut remonter à la fin des années 1990 où l’enfance d’Haytham est déjà celle d’un fils de contestataire. En 2000, son père, professeur de mathématiques dans sa petite ville de Deraa, au sud de Damas et tout près de la frontière jordanienne, se réjouit en effet de la mort du tyran Hafez, père de Bachar. Déjà, le régime s’appuie sur des forces de police et de délateurs particulièrement fournies, mais on croit alors à une ouverture, un assouplissement, à un « printemps de Damas » en quelque sorte, bien avant « le printemps arabe » !

Mais la liberté d’expression fait long feu. Les opposants politiques qui se réunissent autour du père d’Haytham prennent des risques, continuent de « comploter », manifestent même, mais Bachar n’est évidemment pas meilleur que son père et arrestations et torture vont bon train ; notamment du côté de la célèbre Palmyre où, non loin des ruines, se tenait « un des pires bagnes au monde » symbole de la répression du régime syrien, détruit depuis par Daesh.

En 2011, alors que Ben Ali tombe en Tunisie et que Moubarak cède le pouvoir au Caire, l’espoir est à son comble, mais la révolution n’est pas pour demain en Syrie. Pour le père d’Haytham, la situation va même devenir compliquée et terriblement dangereuse, d’autant qu’il a entrepris avec son simple téléphone d’alerter la presse étrangère de ce qui se passe pendant les manifestations de février — puis de mars — de cette année-là, à Deraa où quatre manifestants sont tués. Alors, Ayman Al-Saaswad entre en clandestinité, non sans continuer à informer. L’album raconte ce qu’il advient de sa femme et de ses enfants, obligés de fuir leur ville, leur famille et pour le petit Haytham, narrateur, c’est la certitude qu’il ne reverra plus ses amis ou ses grands-parents.

Ce récit sans pathos excessif, mais parfaitement documenté, s’appuie sur le travail de Kyungeun (écrit quelquefois Kyung-Eun) en noir et blanc : un auteur qui sait créer l’atmosphère. Qu’il s’agisse de rues bondées de manifestants ou de nuits où il est nécessaire de se cacher, qu’il s’agisse des trognes des moukharabat (services de renseignements) ou du regard déterminé des contestataires, en passant par la tristesse ou la résignation des femmes ou des enfants, tout concourt à faire de ce récit-reportage une évocation sensible, restituant parfaitement la déchirure que provoque l’exil, même si la France a offert asile à cette famille, comme à d’autres.

De nationalité coréenne, mais vivant en Belgique, Kyungeun Park a déjà signé deux albums avec Antoine Ozanam. « Le Roi banal » (Casterman, 2009) est un récit situé dans une petite ville de l’est de la France où Louis Clément, retraité paisible, tente de tromper sa solitude en se déclarant roi de son royaume : un pavillon de banlieue ! Avec « Moi en mieux » (Casterman, 2012), c’est l’histoire d’un commerçant abandonné par son associé et qui, à la suite d’un étrange héritage, se crée un double… en mieux ! Mais c’est surtout « Yallah Bye » (Le Lombard, 2015), scénarisé par Joseph Safieddine, qui le fait remarquer. C’est l’histoire des vacances d’une famille française se transformant en cauchemar. En effet, en juillet 2006, comme tous les étés, Mustapha El Chatawi a emmené sa famille dans son pays d’origine, le Liban. Mais après un accrochage avec le Hezbollah, Israël lance une opération armée de grande ampleur. La ville de Tyr où se trouve la famille est bombardée, coupée du monde par Tsahal…

Autant dire qu’album après album Kyungeun Park concrétise peu à peu son talent de reporter et de dessinateur réaliste, car rien n’est laissé au hasard en matière de restitution des décors ou des vêtements, comme l’explique le scénariste lors d’une interview (à découvrir sur le site Dargaud).

Didier QUELLA-GUYOT  ([L@BD-> http://9990045v.esidoc.fr/] et sur Facebook).

http://bdzoom.com/author/didierqg/

« Haytham : une jeunesse syrienne » par Kyungeun Park et Nicolas Hénin

Éditions Dargaud (17, 95 €) – ISBN : 978-2-2050-7590-8

Galerie

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>