Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Jo-El Azara : deuxième partie, à Tintin, à Pilote, à Spirou, et tout seul comme un grand…
Suite du dossier consacré à Jo-El Azara, un dessinateur, trop méconnu à notre goût, qui côtoya pourtant pour les plus grands : en passant dans les ateliers de Vandersteen et d’Hergé, ou travaillant aux côtés de Will, et en étant publié dans Tintin, Pilote ou Spirou… Pour la première partie du dossier, cliquez ici : Jo-El Azara : première partie, à l’ombre des plus grands….
C’est donc à partir de ce moment que notre auteur devient l’un des dessinateurs vedettes du journal Tintin, créant de nombreuses histoires courtes et personnages éphémères :
- « La Principauté du Finckelstein » avec Yves Duval (neuf récits de deux ou quatre planches proposés entre 1961 et 1962, rebaptisés curieusement « La Principauté du Tinckelstein » uniquement en France, sans prévenir le dessinateur, à partir du deuxième épisode),
- « Jill et Jum » (quatre gags en deux pages, dont les scénarios sont de Maurice Rosy, uniquement dans le Tintin belge entre 1962 et 1963),
- « Évariste Confus » (vingt-quatre histoires de deux ou quatre planches publiées entre 1963 et 1965 – dont une qui n’est jamais parue —, scénarisées par divers scénaristes comme Vicq, Maurice Rosy ou Roger Ferrari),- « Zéphir » (trois fois quatre pages en 1964 et 1965),
- « Gaétan de Châteaubleu » avec Jean-Pierre Chappuis (deux récits de dix planches en 1967) [1],- la reprise de « Clifton » avec Greg, le temps d’un seul épisode en l967 [2],
- ou des récits courts scénarisés par Greg (dès août 1962 avec les quatre pages de « Photo surprise », et les deux pages du dessin animé TV « L’Agent 00 » en 1962), Jacques Lob (les six pages de « Des pépins dans le péplum », en 1965), Jacques Acar (les quatre pages de « Thou-Rist », en 1965), Jean-Pierre Chappuis (trois récits de huit, six et dix pages en 1965 et 1966), Vicq (deux gags en deux pages en 1966), Stephen Desberg (les neuf pages des « 2 Petits Fils Aymon », en 1977)…,
- mais aussi, dès 1965, son plus célèbre personnage : « Taka Takata », sur des scénarios de Vicq, jusqu’en 1980. [3]
Cependant, alors que la majorité des récits complets, gags ou histoires à suivre de Tintin sont repris dans Ons Volkske (Junior en version francophone), Jo-El Azara multiplie les collaborations en ces débuts des années soixante :
« Il faut dire qu’à cette époque-là — ça ne me rajeunit pas tout ça… — je travaillais chez Will, et comme il avait trop de boulot, il m’a fait faire plein de trucs différents : c’est ainsi que je me suis retrouvé à l’aider pour les décors de l’histoire “Isabelle et le capitaine” dans Spirou, en 1971 et 1972 (4), ou auparavant à le seconder sur les “Jeux de Record et Véronique” écrits par Jean-Michel Charlier qui paraissaient dans le mensuel Record, en 1962 et 1963. »
Dans ce dernier périodique coédité alors par Bayard et Dargaud, Jo-El dessine « L’Agence Quick » (six pages écrites par un certain Martin)
et anime aussi « Bonnedague » : dix amusants récits complets moyenâgeux écrits par Chappuis, entre 1962 et 1967 [le dernier est écrit par Roger Ferrari], et qui seront repris en Belgique dans Samedi-Jeunesse, en 1973 : « Les deux premières histoires de “Bonnegague” étaient signées Jo-El 62. Ce n’est qu’après, donc à partir de la troisième aventure que j’ai signé cette série Ernest Azara. Je crois bien que j’avais commencé à signer comme ça dans Pilote, sur un western humoristique publié en récits complets [il y en a eu neuf en tout, dont un qui n’est jamais paru] dont certains étaient écrits par Maurice Rosy : “Mayflower”, entre 1963 et 1965. »
Dans Pilote, notre dessinateur illustre aussi d’autres histoires courtes dont une autre de deux pages écrite par Rosy (« Suivez l’œuf », en 1963), trois mettant en scène M. Chapomou (scénarios de Jacques Acar, en 1965 et 1966) ou encore « La Campagne de Grèce » avec Eugène Crespin (vingt pages publiées à suivre, en 1965).On le retrouve également sur l’expérience Chouchou, avec les cinq gags en trois strips d’« Icare » signés Lobéloux, c’est-à-dire Lob [5] et Loeckx, en 1965 : « Avec le scénariste Lob, nous avons imaginé une série de strips avec un personnage qui tentait vainement de voler ; mais c’était dans la deuxième formule de Chouchou : celle qui était dans un format beaucoup plus petit, du n° 10 d’avril 1965 au n° 14 de mai 1965. »
Dans Présent, en 1969, Azara signe aussi quatre gags de « Bebel Fegor » écrits par Vicq : « Si je me souviens bien, UOPC, une maison-édition-librairie des Pères Assomptionnistes, ont lancé un hebdo qui s’appelait Présent, en 1969. Comme j’avais dessiné “La Bible” dans La Croix en Belgique (journal qui leur appartenait), ils m’ont demandé un petit strip humoristique pour leur nouveau magazine… »
Et n’oublions pas Spirou (6) avec « Haddada Surmamoto » (voir la première partie de ce dossier) ou les deux longs épisodes de quarante-quatre pages chacun de « Zagazik » (en 1980 et 1982-1983).
Les scénarios de cette nouvelle et éphémère série sont dus à Eugène Crespin : un professeur de judo.
Certains d’entre eux (dix-neuf planches en tout) ont été publiés, entre 1982 et 1986, dans La Revue de la sécurité en France ou dans le mensuel belge Jennifer.Parallèlement, notre interviewé mène une carrière d’illustrateur publicitaire qu’il avait amorcé, en 1970, pour les chocolats Mickybiss de Côte d’Or dans Tintin, ou avec « Butch Bell Haby : le justicier bien habillé » réalisé pour la marque de vêtement Ji Butch.
Il s’agit d’un western humoristique écrit par le grand Maurice Tillieux.
Il y en eut deux épisodes à suivre de onze planches chacun : le premier publié dans Tintin (en 1971) et le second dans Spirou (l’année suivante), mais uniquement dans les éditions belges.
Jo-Ël Azara va donc réaliser de nombreux travaux en ce domaine : pour Frolic, Total, Anvar, Coca-cola, le Crédit Agricole, le Crédit Mutuel, IBM, Motta, Renault, Stella Artois, Texaco, les apiculteurs du Gers, Novotel et le Thalassa Oléron, l’EDF, etc.
Certains ont été réunis dans des petits albums promotionnels comme « Tennis assistance » (1984), « Helminger International » (1985), « Histoire mondiale du transport et de la logistique » (scénario de Claude Carton et Josette Baujot, chez EMC, 1989), « Heureux qui comme Loiral & Mac Keuf a fait un beau voyage » (scénario de Josette Baujot et Azara, sur un synopsis de Patricia Poulain, chez Arpe, en 1991 [réédition en 1993]) ou « L’H€ure de l’€uro ! » (avec la contribution de Josette Baujot pour les textes, chez Azeko, en 1999).
On retiendra aussi sa participation, à la demande de Pierre Tchernia et d’Albert Uderzo, à la création des décors de la rue médiévale du « Parc Asterix », mais, à partir de 1994, Jo-Ël s’occupe surtout de son propre label (Azéko) qui reprend, en albums cartonnés, son plus célèbre personnage : Taka Takata. Hélas ! Depuis le décès de sa compagne Josette Baujot (le 13 août 2009, à l’âge de quatre-vingt-neuf ans), Azara a ralenti son activité.
Même s’il pense toujours à une éventuelle une aventure inédite de son amusant et charmant petit soldat japonais : « J’aurais voulu d’abord rééditer tout ce que j’ai en stock et, même si je rêve un peu (car il faut être un peu fou pour faire de l’autoédition), j’aimerais publier aussi toutes les séries dont vous venez de parler, dans la collection Taka Takata présente. J’ai de la matière pour éditer encore cinq albums de “Taka Takata” et dix-sept de mes autres séries ou histoires entières. Après, si je suis encore de ce monde, je m’attaquerai peut-être à quelque chose de nouveau…
Si les rééditions sont ma priorité, c’est que je suis persuadé qu’il faut entretenir le patrimoine (de la BD), sinon tout ça va tomber dans l’oubli. Aujourd’hui, je râle souvent en découvrant l’ignorance de certains jeunes dessinateurs en matière de bande dessinée ; mais ce n’est pas de leur faute… Quand on leur cite des noms de créateurs comme Jijé, par exemple, ils se demandent de qui l’on parle, alors que si Jijé n’avait pas existé, il n’y aurait pas eu Franquin, Morris, Giraud/Moebius, Mézières, Derib ou même Hermann qui sont tous ses émules. Pourtant, les séries de Jijé, comme “Jerry Spring”, “Valhardi” ou “Tanguy et Laverdure”, sont encore disponibles.
Malheureusement, elles n’intéressent plus les jeunes dessinateurs : il faudrait que ces derniers soient un peu plus curieux, qu’ils ne se contentent pas d’admirer les travaux des auteurs de mangas ou les graphismes des jeux vidéo et qu’ils regardent aussi les travaux des anciens dessinateurs. Ils y trouveront certainement matière à développer leur imagination et leur technique illustrative ! »
Pour finir, n’oubliez pas de consulter le site www.taka-takata.com.
(1) Il existe un album regroupant les deux récits de dix planches chacun de « Gaétan de Chateaubleu » et l’histoire complète « YXZ contre BAC » (dix planches scénarisées par Chappuis et présentes dans Tintin, en 1966) qui a été publiée chez Espace Édition S.A en Belgique, et sous le label d’Albin Michel en France, en 1976.
(2) Il s’agit de « Les Lutins diaboliques », trente planches reprises en un album aux éditions du Lombard en 1971, puis en 1997, et dans le tome 1 de l’intégrale actuelle du Lombard, en 2011.
(3) Pour une bibliographie précise de Jo-El Azara dans Tintin, voir le très complet n° 102 de Hop ! (consacré à notre interviewé), ou encore le site bdoubliees.com : http://bdoubliees.com/tintinbelge/auteurs1/azara.htm et http://bdoubliees.com/journaltintin/auteurs3/azara.htm.
(4) Un scénario de Raymond Macherot et Yvan Delporte reprit en album aux éditions Dupuis en 1983, puis dans le tome 1 de l’intégrale « Isabelle » aux éditions Le Lombard, en 2007.
(5) C’est le scénariste Jacques Lob, avec lequel Jo-Ël avait aussi réalisé dans Record « Le Touriste inconnu » (un court récit de six planches publié en 1964), qui contacte ce dernier pour travailler à Chouchou. Dans un premier temps, il dessine deux planches de deux bandes couvrant la largeur de ce journal au grand format proche de celui des quotidiens. Cet essai n’aboutira malheureusement pas, mais le personnage principal qui y était dessiné, Submerman, sera repris plus tard par Lob (en 1967), pour une série dans Pilote, sous le crayon de Georges Pichard.
(6) Pour être complet, n’oublions pas la page de sommaire (présenté sous forme de BD) de ce journal Spirou en juin 1993 (scénario de François Gilson, au n° 2879) et en janvier 1994 (scénario de Pévé au n° 2911).
Bravo pour cette excellent article sur un très grand auteur qui a enchanté ma jeunesse.
Dans l’article Azara parle de rééditer son oeuvre et j’espère que cela va aboutir car je suis très intéressé par son travail et tout particulièrement, par celui avec Vicq dont j’aime la fantaisie et la plume fleurie
Bonjour,
Dossier très complet d’un auteur attachant et prolixe dont l’abbaye de Flaran (dans le Gers), a fêté la rétrospective des 50 ans … l’an dernier avec sa collaboration !
Un super souvenir pour les organisateurs.. et les plus de 6 000 visiteurs !
Longue vie à l’ami Azara et de l’énergie pour continuer à rééditer. Bises de la bande du moustique.
Quel boulot !
Chapeau !
Joli travail !
Azara, un seigneur de la Bd ! une pensée pour Josette, une grande dame trop méconnue.
je pense qu’il faudrait qu’il retrouve un grand éditieur pour faire une belle intégrale de Taka. Ce sera la seule solution pour que la série ne tombe pas dans l’oubis.
Bonsoir,
à l’occasion des 70 ans du journal Tintin, j’ai décidé de mettre à jour ma collection de ce fameux hebdomadaire.
Je collationne donc plein de numéros et il m’arrive de tomber sur des oeuvres plus ou moins oubliées, telle ce dessin de M. Azara paru dans le n° 772 du 8 août 1963 (édition française), un grand dessin sur une double page (8-9), titré « vacances sans vacarme ! » et montrant une foule de personnages sur la plage de Bagadon sur Pimprenelle (sic).
Le top, c’est qu’il y a des clins d’oeil éparpillés au sein du dessin !
- il y a un Schtroumpf éberlué qui se demande « qu’est ce que je schtroumpfe ici ? »
- il y a Eric et Artimon en canot à moteur,
- il y a Gaston Lagaffe vieilli – chauve et fortement barbu ! – qui avoue trouver délicieux les poulpes, « avec de l’ail, beaucoup d’ail et du persil ».
Encore merci, M. Azara.